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GIOVANNI PASCOLI.

l’avait retenu ; comment celui-ci, las d’un long repos dans Ithaque, partit pour son dernier voyage, et quand il ordonna a ses vieux compagnons de reprendre la mer, les rameurs recommencèrent à chanter le chant de leur en lance, parce qu’ils n’en avaient jamais appris d’autre ; comment Alexandre, étant arrivé aux limites du monde, se prit à pleurer. Le ton était celui de la narration épique ; le vers, majestueux ; il n’était point jusqu’au choix des épithètes qui ne rappelât la manière d’Homère, les paroles ailées, les nefs à la proue recourbée, et la mer violette, l’a mer où l’on ne moissonne pas. Les lecteurs, quand les Poemi conviviali furent réunis en volume, s’émerveillèrent de voir l’antiquité ainsi ressuscitée, et crurent trouver un Pascoli nouveau.

Pourtant, il restait fidèle à lui-même. L’échec de sa critique dantesque suffirait à prouver qu’il ne se transforma pas en abordant de nouveaux domaines de la pensée ; mais le plus significatif est la façon dont il les aborda. Ce qui le frappa d’abord, ce fut une image, une forte impression des sens. Dante l’émerveilla comme la nature ; le même mystère l’intrigua. Encore adolescent, en effet, on lui fît visiter Ravenne ; le tombeau de Théodoric, le mausolée de Galla Placidia, Saint-Apollinaire, le laissèrent froid ; mais lorsqu’on le conduisit enfin à la chapelle de Dante, il sentit en lui-même un mouvement singulier ; une adoration subitement née ; une impulsion d’amour. Quoi d’étonnant, dès lors, à ce qu’il fait plus tard interprété en poète ? Ce fut en poète que d’abord il le vénéra. — De même, il faut savoir quelle était la plus forte de toutes les raisons qu’il avait de faire des vers latins ; il nous l’a dite un jour. C’était de maintenir une tradition ; d’empêcher que la poussière des siècles ne recouvrît peu à peu le trésor des médailles bien frappées, accumulé par les anciens et légué à leurs héritiers ; de sauver de l’anéantissement, en montrant qu’elle était capable d’inspirer encore des forces créatrices, une forme d’art ; d’unir les doctes aux doctes, ceux du présent à ceux du passé, pour lutter contre l’oubli, puissance mauvaise qui nous guette ; c’était, en d’autres termes, le même sentiment qui anime les Myricae et les autres poèmes ; la conscience de la destruction toujours prête, de la mort toujours voisine, et l’appel à l’effort humain pour résister à leurs prises : moins un jeu qu’un devoir. — Et dans ses vers à la mode grecque, quelle mélancolie, toute moderne ! Comme ils sont loin de l’objectivité tranquille des anciens ! Comme ils nous montrent