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posés pour l’Allemagne. Morier attribuait cette information à Bismarck « qui aimait toujours, dit-il, à chercher midi à quatorze heures, » et il ajoutait : « Lord Granville est absolument neutre et incapable de se laisser diriger par des sympathies personnelles dans une affaire d’intérêt public. » Morier ne cachait pas ses propres dispositions. Elles étaient alors favorables à l’Allemagne et il raillait « l’invention fantastique » des Français qui avaient cru effrayer les Teutons en plaçant les turcos en avant-garde. N’en déplaise au chargé d’affaires de Darmstadt, ces trois bataillons de turcos causèrent un très grand effroi aux Prussiens, et nul n’a oublié leur panique à Wissembourg. Pour excuser cette panique, Morier dit que l’Allemagne, fort calme au début, est devenue furieuse à la suite des atrocités commises par les turcos. Il appelle « atrocités » une défense désespérée de vaillans soldats contre des forces dix fois plus nombreuses. « Les pauvres diables, remarque Morier qui a cru aux inventions de la Presse allemande, les paient cher maintenant et on ne leur fait aucun quartier. Cela rendra la paix plus difficile, car la nation entière crie vengeance. » On le vit bien à Bazeilles où les cruautés commises par les Bavarois sont restées inoubliables. Mais cette vengeance féroce ne devait pas suffire. « Elle se manifestera davantage, prédisait Morier, sous la forme d’une demande de territoire en Alsace-Lorraine. » Il ajoute le 8 août, — et ceci fait honneur à son jugement : « Ce sera la pire faute que puisse commettre l’Allemagne ! »

Il s’étonne de l’ignorance des journaux anglais qui supposaient qu’après une bataille décisive Napoléon III et Bismarck se donneraient une poignée de main et prendraient, l’un la Belgique, l’autre la Hollande. « Ne savent-ils pas, s’écrie-t-il, que l’Allemagne doit battre la France, car elle a tiré l’épée, non pour assurer comme la France sa prépondérance politique, mais pour assurer son existence nationale ? » Il écrit ensuite à son ami Stockmar : « Je suis corps et âme avec l’Allemagne, mais j’ai d’abord craint les conséquences de la victoire plutôt que la possibilité de la défaite. Ces conséquences seraient la demande de l’Alsace et de la Lorraine ; car prendre deux grandes provinces dont les habitans sont plus Gaulois que les Gaulois eux-mêmes, et devenant Allemands seraient obstinément plus Français que les Français, cela créerait un état de choses que je n’aime-