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musique antique obéit au mode mineur : un mineur qu’on pourrait appeler absolu, par rapport au nôtre, bâtard ou dégénéré. La constitution de ce mode exclut, ou peu s’en faut, la polyphonie. Le moyen âge, bien que soumis encore au même régime modal, tend peu à peu vers le majeur et lentement organise la polyphonie en dégageant par degrés les formules harmoniques du mode nouveau. La Renaissance fonde l’art moderne par l’achèvement et la fixation, — pour longtemps, — de la tonalité. Elle porte la polyphonie vocale à la perfection et donne comme base au langage sonore l’accord parfait, ou de trois sons. Le système harmonique, impliqué dans la musique des âges précédons, en est extrait par l’âge moderne. De nouveaux accords dissonans y sont admis. Les maîtres de la grande époque créent le classicisme, d’où les vieux modes sont exclus et dont la « tonalité, » le majeur absolu. devient la rigoureuse, l’unique loi. Mais voici que nous sommes en train, nous, les contemporains, de changer tout cela. Les maîtres d’aujourd’hui, — d’un aujourd’hui dont le Tristan de Richard Wagner pourrait bien avoir annoncé la première heure, — transforment de plus en plus en harmonies consonantes, ou du moins traitent comme telles, les dissonances autrefois inconnues ou proscrites. Ils renoncent à les résoudre, n’y trouvant désormais plus rien d’instable ni d’incertain. Les accords de onzième, de treizième, attaquent la tonalité, qui s’affaiblit sous leurs coups. La tyrannie du majeur est ébranlée, on voit çà et là reparaître les vieux modes, que le chromatisme pare de couleurs nouvelles. « De sorte que, par un résultat imprévu de la polyphonie toujours grandissante, un retour est près de se produire à des échelles que la tonalité avait abolies, et qui relèvent plus de l’art homophone que de l’art polyphone. Notre époque est dans une nouvelle transition dont il est difficile et dont il serait imprudent de prévoir les destinées. »

Rien qu’à ces dernières Lignes, on reconnaît, avec l’historien, lui-même, l’éternel devenir, principe et condition de la vie. Et si le sommaire ou le schéma d’une si vaste étude parait un peu vague, peut-être obscur, il est facile, en insistant sur quelques points, en revenant sur les traits principaux, d’en retirer du moins quelques lignes précises et claires, bénéfice modeste, mais assuré d’une analyse forcément abrégée.

L’historien a trouvé, pour définir la musique antique, une expression heureuse. Il la compare « à un fil presque sans épaisseur. » Et voilà posée, en quelques mots, l’antinomie fondamentale entre l’art musical des Hellènes et le nôtre. Sans compter que, sur cette antithèse,