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même chez l’homme, elle ne se réalise pleinement ; et il existe des êtres, dont chaque fragment régénère l’unité complète, en qui elle semble tout à fait illusoire. Oui, mais nous sommes ici dans l’ordre de la biologie, où les précisions géométriques ne sont pas de mise, où la réalité se définit moins par la possession de certains caractères que par sa tendance à les accentuer. C’est comme tendance, notamment, que l’individualité se manifeste ; et, à l’envisager ainsi, nul ne peut nier qu’elle constitue en effet une des tendances fondamentales de la vie. Seulement il arrive que la tendance à l’individuation reste partout et toujours contre-balancée et dès lors limitée, par une tendance antagoniste, la tendance à l’association, surtout la tendance à la reproduction. De là un correctif nécessaire à notre analyse. La nature, à bien des égards, semble se désintéresser des individus. « La vie apparaît comme un courant qui va d’un germe à un germe par l’intermédiaire d’un organisme développé. » On dirait que celui-ci ne joue que le rôle d’un lieu de passage. Ce qui importe, c’est bien plutôt la continuité de progrès dont les individus ne sont que des phases transitoires. Entre ces phases, d’ailleurs, point de coupures tranchées ; mais chacune se résout et se fond insensiblement dans la suivante. Le vrai problème de l’hérédité n’est-il pas de savoir comment et jusqu’à quel point un individu nouveau se détache des individus générateurs ? Le vrai mystère de l’hérédité n’est-il pas la différence, et non la ressemblance, qui s’accuse d’un terme à l’autre ? Quoi qu’il en soit de sa solution, toutes les phases individuelles se prolongent mutuellement et se compénètrent. Il y a une mémoire de la race par laquelle incessamment le passé s’accumule et se conserve. L’histoire de la vie s’incorpore à son présent. Et là est même la raison ultime de cette perpétuelle nouveauté qui nous étonnait tout à l’heure. Les caractères de l’évolution biologique sont ainsi les mêmes que ceux du progrès humain. Nous retrouvons encore une fois dans la durée l’étoffe même du réel. « Mais alors il ne faut plus parler de la vie en général comme d’une abstraction, ou comme d’une simple rubrique sous laquelle on inscrit tous les êtres vivans. » A elle au contraire appartient la fonction réalisante primordiale. C’est un courant bien réel qui passe de génération en génération, organise et traverse des corps, et ne s’arrête ou ne s’épuise dans aucun.