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Déjà, donc, une conclusion se laisse deviner : en son fond, la réalité serait devenir. Mais une semblable thèse heurte de front toutes nos idées familières. D’où une impérieuse nécessité de la soumettre à l’épreuve d’un examen critique et d’une vérification positive.

Une métaphysique, disais-je naguère, est sous-jacente au sens commun, qu’elle anime et qu’elle informe. Selon cette métaphysique, à l’inverse de ce que nous venons de pressentir, le réel en son dernier fond serait immobilité, permanence. Conception toute statique, qui voit dans l’être justement le contraire du devenir : on ne devient, semble-t-elle dire, que dans la mesure où on n’est pas. Ce n’est point, d’ailleurs, qu’elle entende nier le mouvement. Mais elle se le représente sous l’aspect d’une oscillation autour de types invariables, d’un tourbillonnement sur place. Chaque phénomène lui apparaît comme une transformation avec équivalence du point de départ et du point d’arrivée, si bien que le monde prend la figure d’un équilibre éternel où « rien ne se crée, rien ne se perd. » Il ne faut pas beaucoup la presser pour la faire aboutir à la vieille imagination d’un retour cyclique remettant toute chose dans ses conditions d’origine. Tout est ainsi conçu à l’image de la périodicité astronomique. Une trépidation d’atomes, où seules comptent certaines invariances que traduisent nos systèmes d’équations : voilà ce qui reste de l’univers désormais évanoui « en fumée algébrique. » Il n’y a dès lors rien de plus ni de moins dans l’effet que dans le groupe des causes ; et la relation causale tend vers l’identité comme vers son asymptote.

Pareille vue de la nature donne prise à bien des objections, quand même ne s’agirait-il que de la matière inorganisée. Déjà la simple physique manifeste l’insuffisance d’une conception purement mécaniste. Le flot des phénomènes coule dans un sens irréversible et il obéit à un rythme déterminé. « Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée, j’ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde. » Voilà des faits dont le pur mécanisme ne rend pas compte, lui qui n’envisage que des rapports statiquement conçus, qui ne fait du temps qu’une mesure, quelque chose comme un dénominateur commun des successions concrètes, un certain nombre de coïncidences dont toute vraie durée demeure absente, et qui ne serait pas changé lors même que l’histoire cosmique, au lieu de se dérouler par