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de Gambetta s’est elle-même disciplinée. Dans la fièvre de la jeunesse, il a pu, à certaines heures, laisser la poussière des batailles parlementaires obnubiler dans son esprit ces sages règles, mais plus l’expérience mûrissait son intelligence, plus les épreuves de sa vie intime et les déboires de sa carrière tempéraient les fougues combatives de sa nature, plus il s’attachait à ces maximes de salut.

La méthode simple et souple conseillée par Gambetta comme chef de la majorité, il n’eut guère le temps de la mettre en pratique comme président du Conseil et ministre des Affaires étrangères. Déjà, dans le discours de Cherbourg (10 août 1880), il se dégage de l’Allemagne pour esquisser un rapprochement avec l’Angleterre. Au ministère, il préconise une action commune avec elle en Egypte. « Surtout n’abandonnez jamais l’Egypte, » avait dit Thiers. Gambetta est persuadé de la sagesse de ce suprême conseil. Il cherche à sauvegarder l’influence française sur le Nil par une entente avec Londres ; l’Egypte doit être, dans sa pensée, l’école d’application de l’amitié franco-anglaise. Mais le Cabinet britannique, qu’il soit libéral ou conservateur, reste, comme en 1870, fidèlement attaché à l’Allemagne, et quand Bismarck (janvier 1882) s’oppose à une intervention franco-anglaise en Egypte, c’est son conseil qui est écouté à Londres. Dans cette passe d’armes, Bismarck l’emporte. Gambetta succombe le 26 janvier devant la Chambre sur la question du scrutin de liste.

Tel est l’aspect extérieur de la méthode opportuniste. « L’opportunisme est une transaction, » a écrit M. Hanotaux. A l’extérieur, il est une transaction entre les témérités d’une politique belliqueuse de « revanche » et les faiblesses d’une politique d’abdication, La place de Gambetta, vis-à-vis de l’idée de « revanche, » est également éloignée de ceux qui la renient et de ceux qui l’agitent hors de propos. L’opportunisme cherche à sérier les questions pour les mieux résoudre et, s’il manque d’envergure, il ne manque pas de sens pratique. Cette politique n’abandonne pas « la revanche ; » elle l’ajourne, elle en attend l’occasion ; elle ne renonce pas à l’espoir d’un avenir meilleur et elle s’applique à le préparer.