Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III

La guerre russo-turque et le Congrès de Berlin marquent, dans le développement de la politique européenne depuis 1870, un moment décisif. Bismarck, malgré ses répugnances, ne peut plus se dérober à l’option entre Vienne et Pétersbourg et, malgré ses habiles contre-assurances (Skierniewice, 1884), la Russie reste à la fois libre et ulcérée : par la pente naturelle des événemens, elle rencontrera la France. Bismarck choisit l’Autriche : s’il tient Vienne, la coalition Kaunitz est impossible ; la combinaison « horizontale, » Pétersbourg, Vienne, Paris, qu’il redoute, est coupée en son milieu ; il réalise, lui, la combinaison « verticale, » Berlin, Vienne, Rome. Il lance l’Autriche-Hongrie vers les Balkans par l’occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine, il en fait la rivale de la Russie et, par suite, l’alliée de l’empire allemand. L’Italie, dédaignée en 1877, est accueillie en 1881 ; elle s’attache aux forts dans l’espérance toujours déçue de prendre part à la curée.

Pour la France, une phase nouvelle de sa vie nationale commence au Congrès de Berlin : c’est la période que l’on a appelée « coloniale » et qu’il vaudrait mieux nommer période d’expansion. La France prend part au grand mouvement du partage du monde qui porte les nations européennes vers les contrées vierges d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Océanie. L’instant critique où se fait l’aiguillage vers la nouvelle direction est, au Congrès de Berlin, ce jour du 7 juillet 1878, où lord Salisbury annonce à Waddington la convention par laquelle l’Angleterre occupait Chypre. Il suffit que Waddington interloqué, choqué dans sa loyauté, abordât lord Beaconsfield avec vivacité et parlât de quitter le Congrès avec ses collègues, pour qu’aussitôt la Tunisie nous fût offerte. « Vous ne pouvez pas laisser Carthage aux mains des barbares, dit lord Salisbury à Waddington... faites là-bas ce qui vous paraîtra bon, ce n’est pas notre affaire. » Bismarck, tenu au courant, laissa entendre que, lui non plus, ne verrait pas d’obstacle à ce que la France établît sa suprématie sur la Tunisie. A l’origine du premier acte de notre expansion coloniale, il y a donc une offre compensatrice de l’Angleterre et une adhésion de l’Allemagne.

Bismarck manœuvrait pour resserrer les liens d’amitié, de