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et provocatrices de l’Italie forçassent le gouvernement de la République à se départir de son attitude d’expectative. Un de nos plus éminens diplomates, le baron de Courcel, directeur des Affaires politiques, eut le mérite de persuader Barthélémy Saint-Hilaire, et surtout Gambetta, de la nécessité d’une intervention vigoureuse en Tunisie. Jules Ferry, président du Conseil, converti à son tour, agit avec sa résolution accoutumée. Le traité du Bardo mit la Tunisie sous le protectorat de la France.

A la nouvelle de la signature du traité, Gambetta écrit à Jules Ferry un billet de félicitations : « Il faudra bien que les esprits chagrins en prennent leur parti, un peu partout : la France reprend son rang de grande puissance. » Voilà donc le premier acte de l’expansion de la France hors d’Europe après 1870, approuvé, sanctionné, par l’homme même qui passait pour incarner l’idée de la « revanche. » Il y voit l’une des formes du relèvement national. M. Eugène Etienne, qui vécut dans l’intimité de Gambetta, qui est resté pieusement fidèle au souvenir de l’ami et aux directions du maître, et qui est devenu l’un des promoteurs les plus ardens de notre expansion coloniale, a écrit sur « la politique extérieure de Gambetta » un article significatif[1], où il revendique pour le mouvement colonial le patronage du grand tribun. Il ne voyait, dit-il, « aucune antinomie entre une politique continentale avisée et une politique coloniale active, à l’expresse condition que la seconde, livrée à elle-même, et à ses propres entraînemens, ne risquât point de s’émanciper au point de gêner, voire de contrarier, les libres mouvemens de la première. « Il faut retenir cette formule. Elle n’est que le commentaire de la phrase de Gambetta, déjà citée, où il parle de la France « toujours mêlée avec courtoisie aux affaires qui la touchent dans le monde. » Ce qui touche la France, à ce moment de son histoire, c’est le partage du monde qui va s’accomplir sous ses yeux, partage sans lendemain où les tard-venus seront mal servis et qui va orienter dans des voies nouvelles la politique des grandes nations. La France n’était pas libre, à moins de se résigner à une abdication désastreuse, de ne pas prendre sa part de ce prodigieux mouvement qui a jeté les peuples européens à la conquête des terres nouvelles. Il est des heures où celui qui n’avance pas, recule. Nous avions, sur les

  1. Voyez le Temps du 10 janvier 1905. L’article a été inséré dans le volume : Gambetta, 1 vol. in-16 ; Flammarion.