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de droite et d’extrême-gauche. C’est ce qui explique que, par une singulière rencontre, le langage du duc de Broglie se rapproche sensiblement, avec certaines violences de langage en moins, de celui de M. Clemenceau, et que celui, par exemple, de M. Jules Delafosse n’est pas sans analogies avec celui de M. Camille Pelletan ou de Georges Perin. Parmi les députés de la droite, faisait scandale Mgr Freppel approuvant avec éclat la politique coloniale. Son patriotisme alsacien, peu suspect d’oublier « la revanche, » vibrait au bruit du canon de Tunisie, du Tonkin, de Madagascar et, sans s’arrêter aux critiques chagrines de ses collègues, il ne voulait voir que la France qui devenait plus grande et l’armée française qui trouvait par delà les mers un renouveau de gloire. Le temps a donné raison à l’évêque d’Angers.

A l’extrême-gauche, comme d’ailleurs à droite, il est bien difficile de faire le départ des critiques vraiment inspirées par un patriotisme sincèrement alarmé d’avec celles que dictaient l’esprit de parti et les rivalités intestines des républicains. Négligeons les exagérations et cherchons, dans les discours de M. Clemenceau, le tuf solide de l’argumentation. Elle peut se résumer en peu de mots, que ce soit à propos de la Tunisie, de l’Egypte, de Madagascar ou du Tonkin : « Ma conclusion est : l’Europe est couverte de soldats, tout le monde attend. Les puissances réservent leur liberté pour l’avenir ; réservons la liberté de la France[1]. » A l’expédition de Tunisie, il reproche d’avoir « porté atteinte à la situation diplomatique de la France et affaibli l’armée ; » il craint que l’établissement du protectorat français à Tunis n’ait refroidi « des amitiés précieuses cimentées sur le champ de bataille, » et il allègue qu’on a vu se produire « des explosions d’amitié bien faites pour surprendre. » L’entente avec l’Italie « libérale » faisait partie du vocabulaire de l’extrême-gauche avec la légende de Garibaldi. Il fallait donc se garder d’occuper la Tunisie de peur de mécontenter nos « frères latins. » On ne disait pas que, dès 1877, Crispi était allé à Gastein solliciter l’alliance allemande. En Egypte, nous risquions de nous aliéner l’amitié anglaise qui pouvait nous être précieuse en Europe ; il fallait donc nous abstenir d’y faire autre chose qu’une politique d’influence. Enfin, toute

  1. Discours du 29 juillet 1882, qui décide de la politique de non-intervention en Egypte.