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l’opinion nationale indifférente ou hostile. Il n’y avait pas, à proprement parler, il n’y a jamais eu, en France, comme on l’a parfois dit, d’opinion « anti-anglaise, » ni de politique « anti-anglaise ; » mais, il y avait des hommes, et, parmi eux, les hommes d’Etat qui ont gouverné la France, qui étaient résolus à assurer à leur pays, par une concurrence loyale et pacifique, en dépit de tous les mauvais vouloirs intérieurs ou extérieurs, un lot honorable dans le partage du monde, et qui y ont réussi.

Qu’a-t-on reproché à cette politique ? On peut trouver un bon résumé de ces griefs dans la brochure publiée en 1897 par un diplomate de mérite, ancien collaborateur de Gambetta et de Thiers, le comte de Chaudordy[1]. Nous les connaissons déjà : c’est l’Allemagne qui a « poussé la France sur le chemin de l’extension coloniale ; » cette politique « ne tend à rien moins qu’à abaisser l’influence continentale de la France. Or, je considère que tout son avenir est sur le continent. Elle ne doit pas un seul instant détourner ses regards de l’Alsace et de la Lorraine. Elle doit toujours penser à les reprendre, sinon elle décherra promptement du rang de grande nation... Les ressources que l’on dépense dans les pays lointains, sont une perte grave pour la défense du territoire. Bien loin de chercher à s’étendre ainsi, il faudrait travailler à concentrer ses forces... Nous paierons tôt ou tard le concours qui nous aura été donné dans les colonies par l’abandon du Rhin. » La politique coloniale risque de nous brouiller avec l’Angleterre dont nous avons besoin pour garder et reconquérir notre place en Europe. « Il faut savoir choisir entre l’Angleterre et l’Allemagne pour établir avec l’une des deux un lien amical. » Telle est la thèse. Elle représente bien l’opinion moyenne du groupe qu’Albert Sorel appelait « le parti anglais. » Confrontons-y les faits.

Après 1870, comme pendant la guerre, la politique britannique reste fidèle à l’amitié allemande. Au Congrès de Berlin, cette amitié devient complicité. A partir de 1884, Bismarck engage l’Allemagne, mais sans ardeur et sans conviction, dans la politique coloniale ; l’Angleterre, loin de chercher à lui faire obstacle, favorise ses tentatives[2]. A part quelques difficultés

  1. Considérations sur la politique extérieure et coloniale de la France, 1 vol. in-16 ; Pion, 1897.
  2. La Politique franco-anglaise, par M. Ernest Lémonon, 1 vol. in-8 ; Alcan.