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de frapper Venise, soit par l’impéritie des hommes, soit pour des causes encore inconnues, les artistes vénitiens s’adressent à tous ceux qui aiment Venise dans son histoire et dans ses monumens, pour que l’on procède immédiatement à la reconstruction de ce mole superbe, qui, pendant mille ans, fut le témoin de la grandeur et des revers de la ville. Sûrs d’être les. interprètes du sentiment universel, confians dans le concours de tous pour rétablir cette page glorieuse de l’histoire vénitienne, les artistes vénitiens espèrent que, du sommet de la tour, l’ange doré veillera encore sur le sort de la reine des lagunes. Ils prennent avec leurs confrères des mesures pour organiser de la manière la plus efficace leur contribution à cet accomplissement du devoir. »

Le Conseil municipal, réuni d’urgence, vota, séance tenante, 500 000 francs. Une fois donné, l’élan se répandit partout, comme une traînée de poudre. Le National Club, de New-York, ouvrit une souscription. L’Istrie proposa de fournir les pierres et les marbres. Une fonderie napolitaine offrit gratuitement la main-d’œuvre pour la réparation des bronzes de Sansovino. M. Groothaert, architecte belge, lança une liste de souscription parmi les artistes et les lettrés du monde entier.

M. Nasi, ministre des Beaux-Arts, coupa court à l’enthousiasme universel, en publiant à son de trompe ce simple avis : « Il faut reconstruire le campanile avec de l’argent exclusivement italien. » Venise renchérit : «... Avec de l’argent vénitien. » L’étranger annula les souscriptions qui commençaient à affluer, et Venise, exultante, se distingua par l’ingéniosité de ses sacrifices. Un juif conseilla de débiter les débris du campanile comme objets de curiosité. Le sénateur Breda, plus généreux donna 100 000 francs. Une pauvre maîtresse de dessin vénitienne, exerçant à Florence, offrait de prélever 10 francs par mois, sur un maigre salaire de 60 francs. Les gens du peuple, artisans, petits commerçans, barcarnoli, pêcheurs, furent les premiers à se cotiser. De longues listes circulèrent de boutique en boutique et de gondole en gondole. Avec moins de fracas, les patriciens couvrirent aussi des listes où des noms illustres figuraient en regard de souscriptions opulentes. Un jour, le syndic reçoit d’Amérique ce câblogramme laconique :


Sottoscrivo mezzo millione lire. — MOROSINI.