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En présence de cette offrande magnifique, le syndic ouvre une enquête discrète. Le consul des Etats-Unis connaissait à New-York un banquier nommé Morosini, d’origine italienne. Morosini de nom seulement, ce financier n’avait rien de commun avec la famille qui fournit quatre doges à la République, entre autres le « Péloponnésiaque, » donateur généreux des lions de marbre rapportés de Grèce et accroupis depuis deux siècles à l’entrée de l’arsenal. Né à Venise en 1831, cet émigrant d’Italie se nommait Giovanni Pertegnazza. Quand Venise devint autrichienne, il partit pour Athènes, s’engagea comme mousse, et débarqua à New-York. Là, comme beaucoup de ses compatriotes, il végétait en cherchant sa voie, quand sa bonne étoile le mit sur le chemin du fils de Jay Gould et changea le cours de son existence. Il sauva la vie à ce jeune homme et, par reconnaissance, le père l’associa à ses affaires. C’est alors que Pertegnazza prit le nom de Morosini ; dans la suite, il devint multimillionnaire, digne de figurer sur la liste des 400. Un reporter, qui sollicitait une interview, reçut de lui le billet suivant :

« Cher monsieur, on a annoncé à tort que j’avais donné 500 000 francs pour la reconstruction du campanile de Saint-Marc. Veuillez, je vous prié, démentir dans votre estimable journal. Je souscrirai, mais une somme plus modeste. »

Agissant avec promptitude et décision, M. Nasi expédia durgence à Venise une commission d’enquête pour examiner les faits et vérifier les conditions statiques des autres monumens. La commission prouva bientôt son utilité. Elle découvrit à Venise quelque incohérence administrative, de ces chinoiseries si communes en tous pays et si favorables à l’éparpillement des responsabilités. Ainsi, le bureau régional s’occupait de la Loggetta de Sansovino, tandis que le campanile lui-même, clocher de la basilique, était sous la tutelle de la Fabrique de Saint-Marc. Or, la commission constata que la Fabrique ne possédait pas même les plans du monument confié à sa garde.

Afin d’examiner par lui-même, le ministre partit aussi. De Venise, il appela le commandeur Boni, archéologue éminent, chercheur infatigable et modeste, qui a découvert dans le sous-sol du Forum romain tant de merveilles, jusqu’à des ascenseurs pour le service des bêtes du cirque et des gladiateurs. Le ministre