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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/146

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volutes sur les marches disjointes des Palais en bordure du Grand Canal. Les canots automobiles, dont le nombre croît de jour en jour, contribueront à cet effet destructif. La lente et silencieuse gondole, qui ne traîne plus dans son sillage « de fastueuses pièces de velours, » disparaît en effet devant ce nouveau venu, à la vitesse tumultueuse et bruyante.

M. Boni accusait aussi le canon de Saint-Georges Majeur « placé juste en face, au cœur de Venise monumentale... Quand je me trouvais au Palais des Doges, chaque coup de canon que tirait cette batterie faisait trembler les vitres et les murailles ; il me semblait que l’âme tout entière de Venise tressaillait. » Il signalait aussi les cloches : « Autrefois, on les réservait pour les solennités. Plus tard, on en fit un véritable abus. Leurs vibrations ébranlent les clochers ; il faudrait diminuer l’amplitude de leurs oscillations. »

Le crollo du campanile ne surprit point les archéologues, mais il fit concevoir des craintes pour la plupart des monumens vénitiens, bâtis en général, comme le campanile de Saint-Marc, sur un ensemble de couches, pareil à un gâteau mille-feuilles, de pilotis, de plateaux de bois et de pierres diverses, unies par du ciment hydraulique. M. Wagner a condamné Venise en bloc : « Elle est destinée à périr, parce que le sous-sol qui lui sert de base repose sur de mauvais pilotis pourris, désormais incapables de supporter l’énorme poids dû aux réparations continuelles. » Moins absolu, Vendrasco considérait depuis longtemps trois clochers comme en péril : Saint-Marc, San Stefano et San Giorgio dei Greci. La chute du premier est donc un sérieux avertissement.

Une secousse sismique un peu forte sèmerait la ruine dans tout Venise. Cette menace perpétuelle rend l’œuvre de conservation plus difficile que celle d’une autre ville italienne et nécessite un plan général de défense.

On s’est hâté de jeter la pierre aux architectes anonymes de l’antiquité. On a critiqué ces fondations, l’hétérogénéité de leurs élémens, bois et pierre, de résistance inégale. Il est pourtant des circonstances atténuantes. Tant qu’a duré le règne de la voile, c’est-à-dire pendant des siècles, les marines anglaise, française et hollandaise, conservaient dans l’eau leurs approvisionnemens de bois de construction. La fosse à bois de Rochefort, célèbre dans les fastes maritimes, contenait 50 000 stères