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II

Aucune doctrine sociologique d’où sont d’abord éliminés les élémens moraux, inhérens à l’individu, ne saurait, selon nous, conférer à la société humaine des titres suffisans pour en faire la source de la moralité. Cette socialisation complète de la morale nous semble chimérique. En effet, la société humaine ne peut avoir des titres que sous les divers rapports de la quantité, de la qualité et de la puissance. Plaçons-nous donc successivement à ces divers points de vue. L’humanité, qui est l’ensemble de tous les hommes, représente sans doute une quantité supérieure, surtout numérique ; mais il est clair que la quantité n’a pas par elle-même de valeur morale ; tout dépend des qualités qu’elle totalise. Or, les qualités de la société humaine, comme telle, ne sont qu’une complication, une extension dans l’espace et dans le temps, une combinaison originale et spécifique des qualités appartenant à l’homme en tant qu’homme. Les sociologues et socialistes humanitaires n’ont pas réussi à montrer dans la société une création absolument nouvelle par rapport à la personne humaine et qui suffirait à fonder la moralité. Si l’homme n’était pas d’abord un animal plus intelligent, plus aimant, plus maître de sa volonté, en un mot, plus moral par sa constitution propre que le tigre, le chacal ou l’ours, la société humaine n’aurait pas les qualités qui la distinguent des autres groupemens d’animaux et qui la rendent, en la personne de ses membres, digne de respect ou d’amour.

Sous le rapport de l’activité et de la puissance, les sociologues et socialistes ont raison d’attribuer à la société comme telle une action propre, mais ils n’ont pas réussi à montrer que la société soit la seule vraie cause des facultés humaines Certes, comme Auguste Comte l’a fait voir, l’homme ne serait pas complètement homme sans la société de ses semblables, et c’est une vérité que tout éducateur doit mettre en pleine lumière. Il n’en est pas moins excessif de soutenir que rien de ce qui constitue la nature de l’homme ne peut s’expliquer autrement que par le progrès de la vie sociale à travers les âges. Ce n’est pas la vie sociale, ce n’est pas l’humanité qui a fait tout d’abord de l’homme un animal ayant les instincts ou facultés des autres animaux, mais avec une intelligence plus