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collectives et des impulsions collectives, exerçant du dehors une pression sur l’individu et lui imposant des règles de conduite.

Ecoutons le plus éminent représentant du néo-positivisme. « S’il y a une morale, dit M. Durkheim, elle ne peut avoir pour objectif que le groupe d’individus associés, c’est-à-dire la société : » « Mais, ajoute-t-il, en soulignant, sous condition toutefois que la société puisse être considérée comme une personnalité qualitativement différente des personnalités qui la composent. » La morale néo-positiviste se trouve ainsi suspendue à une hypothèse métaphysique : la personnification de la société comme qualitativement différente des personnes composantes. Il faut que la France soit une personne, que l’Autriche soit une personne, que l’Humanité puisse devenir un jour une personne, que la conscience collective ait une existence et une sorte de moi distinct de nos consciences propres. La fin morale, qu’on a refusé de reconnaître dans la conscience de l’individu et dans son pouvoir de concevoir l’universalité des consciences, le socialisme moral la reporte dans le groupe réalisé et hypostasié. La morale dite « positive » ne risque-t-elle point alors de tourner en ontologie idéaliste ? Nous allons voir, si nous ne nous trompons, qu’elle tourne aussi en une sorte de théologie socialiste. Il faut, — dit d’abord M. Durkheim, non sans raison, — il faut, pour être l’origine de toute morale, que la société soit investie d’une « autorité morale bien fondée. » Le mot d’autorité morale s’oppose à celui d’autorité matérielle, de suprématie physique. Selon M. Durkheim, « une autorité morale, c’est une réalité psychique, une conscience, mais plus haute et plus riche que la nôtre et dont nous sentons que la nôtre dépend ; » or la société présente en effet ce caractère d’être une conscience supérieure à la nôtre, « parce qu’elle est la source et le lieu de tous les biens intellectuels qui constituent la civilisation. » — La conclusion, selon nous, n’est pas contenue dans les prémisses. La « source » et le « lieu » ne constituent pas une « conscience. » La vraie source, d’ailleurs, le vrai lieu de la civilisation est dans les consciences individuelles qui, réunies en société, réagissent les unes sur les autres. Il ne s’ensuit pas que la société ait elle-même une conscience. C’est sans doute la société qui « nous affranchit de la nature ; » mais en résulte-t-il que nous devions nous la représenter « comme un être psychique