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que soient les idées religieuses aux idées morales, celles-ci ne sont pas celles-là. Si le sacré fut d’abord tel ou tel objet de religion ou même de superstition, il a fini par être et il est de nos jours la conscience même de l’homme, en tant que posant 1° sa primauté par rapport à toute autre valeur, 2° son universalité possible. De là l’idée de l’infini ; de l’incommensurable, de l’inestimable qui est dans la conscience. Nous n’admettons donc nullement que le caractère sacré ait été « surajouté » à l’individu « par la société. » Analysez la constitution de l’homme, dit M. Durkheim, et vous n’y trouverez rien « de ce caractère sacré dont il est actuellement investi et qui lui confère des droits. » C’est la société qui a « consacré l’individu, » c’est elle qui en a fait la chose respectable par excellence[1]. » Nous trouvons, au contraire, dans la constitution même de l’intelligence, de la sensibilité, de la volonté, le vrai principe de la valeur appartenant à la personne et sans laquelle l’ensemble des personnes, la société serait 1° sans réelle valeur, 2° sans idée de valeur, 3° sans aucun pouvoir de conférer une valeur et une dignité. Le sacré se réalise en se concevant et il ne se conçoit que chez la personne. La valeur morale et sociale est une valeur qui s’engendre elle-même par la pensée. L’obligatoire, dans les religions et dans les corps sociaux, n’est pas toujours identique au sacré, mais, dans l’ordre vraiment moral, les deux idées sont connexes. La forme impérative de l’obligation est sans doute due en grande partie à des conditions tout empiriques dont la plupart sont sociales, mais le fond persuasif de l’obligation est une conséquence du caractère de primauté qui, appartenant à la conscience, la consacre en face de tout le reste et lui confère une valeur relativement infinie, impossible à calculer et à mesurer objectivement. En tout cas, quelles que soient les origines historiques du sacré, l’homme doit faire aujourd’hui ce que fit Napoléon à son sacre : de ses propres mains, l’empereur victorieux mit sur sa tête le diadème ; l’homme doit se sacrer lui-même par sa pensée.

  1. Bulletin de la Société de philosophie, ibid., p. 187.