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que poursuit le groupe de ces personnes passées, présentes et à venir.

On compte sur le socialisme pour amener l’avènement d’une religion sociale et humanitaire. À cet égard, il est intéressant de connaître encore la pensée de Guyau, esprit aussi clairvoyant que libre et sincère. Il fait d’abord remarquer que l’histoire nous offre des exemples de l’idée sociale mêlée à l’idée religieuse et contribuant à lui communiquer une force d’expansion extraordinaire. Les grandes religions à portée universelle, le christianisme, le bouddhisme, ont eu au plus haut degré, à leur début, le souci des misères sociales et des remèdes qu’elles réclament, elles ont prêché le partage des biens et la pauvreté pour tous ; c’est une des raisons pour lesquelles elles se sont propagées avec tant de rapidité parmi la peuple. Mais, dès que la période d’établissement succède à la période de propagation, ces religions tendent à une sorte d’individualisme : « elles ne promettent plus l’égalité que dans le ciel ou dans le Nirvana. » Guyau n’en admet pas moins qu’un certain mysticisme peut s’allier au socialisme, « lui empruntant et lui communiquant de la force. Un socialisme mystique n’est nullement irréalisable dans certaines conditions et, loin de faire obstacle à la libre pensée religieuse, il pourra en être une des manifestations les plus importantes. » Mais, selon lui, ce qui a rendu jusqu’ici le socialisme impraticable et utopique, c’est qu’il a voulu s’appliquer à la société tout entière, non à tel ou tel petit groupe social. « Il a voulu être socialisme d’État, de même que toute religion rêve de devenir religion d’État. » L’avenir des systèmes socialistes et des doctrines religieuses, selon Guyau, c’est de s’adresser à des groupes, plus ou moins délimités, non à des masses confuses, « de provoquer des associations très variées et multiples au sein du grand corps social. » Comme le reconnaissent ses partisans les plus convaincus, le socialisme exige de ses membres, pour sa réalisation, « une certaine moyenne de vertus qu’on peut rencontrer chez quelques centaines d’hommes, non chez plusieurs millions. » Il cherche à établir « une Providence humaine qui ferait très mal les affaires du monde, mais peut encore veiller assez bien sur quelques maisons. » Le socialisme veut plus ou moins faire un sort à chaque individu, « fixer ses destinées, donner à chacun une somme de bonheur même en lai assignant une petite case de la