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spécial. Au sens strict, ce n’est donc qu’une immatriculation des gens de mer ; en fait, elle prend une tout autre portée ; et ces deux aspects, sous lesquels on peut l’envisager, expliquent la double opinion qu’on en peut avoir. Mesure d’ordre public, simple condition de clarté administrative, l’immatriculation ne soulèverait point de colères ; elle ne saurait non plus disparaître sans inconvéniens. Mais il y a une Inscription maritime, loi de privilège, charte de la dernière corporation subsistant plus d’un siècle après la Révolution française, qu’il est temps d’effacer de nos codes.

Historiquement, l’Inscription maritime se défend par une longue tradition ; elle a longtemps résisté aux changemens des mœurs et à l’assaut des critiques. La complexité de cette loi qui embrasse encore tout ce qui touche à la mer est le dernier effet de l’indépendance reconnue jadis au monde maritime et de son unité naturelle. L’amiral de France et après lui l’Amirauté centralisaient tous les pouvoirs. C’était un État dans l’Etat. La puissance de ce groupement de forces et d’intérêts parut telle à Richelieu qu’il voulut le briser. Mais Colbert dut le rétablir, et après avoir fait ses efforts pour le démembrer, il crut nécessaire de prendre pour lui-même la charge d’amiral. C’est Richelieu qui le premier eut l’idée d’où devait sortir l’Inscription maritime. Avant lui, on prête à Charlemagne l’institution d’un enrôlement obligatoire exercé sur les habitans des côtes pour le « guet de la mer. » Pour Richelieu, la question était d’armer ses navires, et il fit dresser dans tous les ports un état des marins de profession. Il organisa même et paya des compagnies de canonniers. L’application de cette mesure n’ayant pas été suivie, Colbert la reprit en 1665. Elle reçut sa forme définitive en 1689, de Seignelay, continuateur de son père. Jusqu’à Colbert, on n’avait d’autre moyen d’armer les vaisseaux du Roi que la « presse. » On fermait un port et on faisait main basse sur tous les hommes du métier qu’on trouvait dans la ville ou sur les navires marchands ; Ce régime barbare a d’ailleurs subsisté jusqu’au XIXe siècle en Angleterre. Les grandes ordonnances de 1668 et 1689, faites « dans l’intention d’assurer au Roi le nombre de mariniers et matelots nécessaires au service de ses vaisseaux, » devaient aussi « pourvoir à la commodité de ses sujets qui équipent des bâtimens pour leur commerce, soit pour la pêche ou la marchandise. » Chaque année, les