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dans un port de France ; c’est là ce qu’on appelle la levée permanente. Bien que ce service actif soit théoriquement de cinq ans, le ministre a la faculté de fixer à chaque moment la durée, toujours moindre, réellement exigée. En moyenne, elle oscille entre quarante-deux et quarante-huit mois pour les deux tiers environ de l’effectif. Mais un grand nombre de dispenses accordées aux soutiens de famille réduisent leur assujettissement à un an ou moins d’un an ; le troisième tiers ne sert ainsi que quelques mois.

A l’heure actuelle, où l’armée de terre n’appelle plus les autres Français que pour deux ans, l’inégalité des traitemens entre marins et terriens paraît choquante. Il en est d’ailleurs une autre, on le voit, entre les inscrits eux-mêmes. Rien de plus contraire à notre esprit d’égalité ; enfin la douceur des mœurs modernes répugne à prendre, pour le service militaire, cinq ans de la vie d’un homme.

Ces raisons sont si puissantes qu’on n’a cessé de diminuer la durée réelle de l’assujettissement à la marine, et que ces réductions ont suivi les transformations du service à terre. Au début, les marins des classes, enfermés comme dans une geôle dans l’Inscription maritime, y étaient retenus au service du Roi sans limite d’âge ni de période ; puis on leur permit de s’évader en renonçant à leur profession, on s’interdit de les conserver après soixante, cinquante-six, cinquante ans : rien encore ne bornait la période de levée. Cependant à terre, la loi de 1832 avait réduit le service actif de huit à sept ans, celle de 1868 à cinq, chiffre maintenu par la loi de 1872. Dans la marine, pour la première fois en 1863, on fixa une durée : six ans, ramenée à cinq par le décret du 31 décembre 1872. Le parallélisme est marqué ; mais il cesse bientôt. A terre, la loi de 1889 abaisse l’appel à trois ans et accentue l’égalité en obligeant les dispensés eux-mêmes à un an ; la loi de 1905 enfin inaugura le service de deux ans pour tout le monde sans dispense. La marine reste en retard de deux étapes.

L’opinion publique n’en prendra pas volontiers son parti, et les inscrits protestent. De tous côtés sont venus les avertissemens. Les rapporteurs du budget signalent la difficulté. Les ministres eux-mêmes subissent la pression logique d’une situation qui pèse sur leur département. La flotte a beau manquer de personnel, plutôt que de faire usage du droit ministériel