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en retenant les hommes pendant leur cinquième année, on se résigne à désarmer partiellement une fraction de l’escadre quand il en faut compléter une autre. Mais ce n’est pas la solution radicale qu’attendent les inscrits, et le parti socialiste n’en a pas moins fait entendre ses plaintes, tandis que ses meneurs, agissant sur les marins comme le levain dans la pâte, les poussaient à affirmer leurs revendications.

Elles ne peuvent manquer d’aboutir, car tout le monde est 4u complot : l’opinion, les pouvoirs publics, les intéressés. C’est un principe national que porte à son frontispice la loi de recrutement de 1905 : « Le service militaire, obligatoire et personnel, est égal pour tous. » Que cette égalité idéale demeure entière dans la pratique, on peut en douter néanmoins : facile à réaliser dans la durée d’assujettissement, elle subit d’inévitables restrictions quant à la nature du service. Tout le monde ne saurait être affecté à la même arme, à la même région, et l’on n’empêchera pas que les uns n’aient la vie plus rude que les autres.

A cet égard, il convient de ne pas exagérer le sentiment de commisération qui nous apitoie sur le sort de nos matelots. A temps égal, ils ne seront pas plus à plaindre que le soldat de terre. La vie à bord a d’autres exigences que la caserne, mais aussi des compensations : elle est plus salubre, plus variée, plus attachante, plus instructive ; la marine devient une industrie scientifique qui nécessite et favorise un développement sans cesse plus complet de l’esprit. Qu’est-ce que le service pour le marin, sinon bien souvent un apprentissage de sa profession aux frais de l’Etat ? Le confortable qui manquait jadis a fait son apparition sur les vastes bateaux modernes ; un cuirassé d’aujourd’hui se trouve presque insensible au mouvement de la mer ; il n’y a plus à monter dans la mâture pour serrer les voiles ; les embarcations automobiles suppriment l’effort des rameurs.

Restent les flottilles ; mais le torpilleur va disparaître ; on n’en construit plus. Il n’y aura bientôt presque que des sous-marins, et les équipages en sont entièrement volontaires.

Il faut faire justice de cette légende qui représente le service à la mer comme une géhenne, dernier souvenir des galères, car on en tire argument contre toute affectation d’office à la marine. C’est cependant la règle en Allemagne. On sait que notre inscrit maritime a toujours le droit, en renonçant à sa