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Requiem, les sublimités de vos Magnificat ! Fort lettré, et de culture classique, il lisait beaucoup ; mais des ouvrages de mysticité ou des livres d’extravagance. Souvent, sa lampe restait allumées fort avant dans la nuit ; souvent encore, lorsqu’il l’avait éteinte, on entendait résonner le bruit de ses pas. Il allait, venait, se démenait au milieu des plus épaisses ténèbres ; nous l’appelions aussi « le nyctalope : » d’aucuns le prétendaient somnambule.

Un soir, entré à l’improviste dans la chambre de Lautrem, je le surpris penchant la tête sur un vétusté et poussiéreux in-quarto, curiosité de librairie qu’il venait d’acheter. Il ne m’avait pas entendu frapper à sa porte, et je fus étonné de l’effroi qu’exprimait son regard. Légèrement je lui touchai l’épaule ; il sursauta, poussa un cri, ferma son livre :

— Quelle stupide plaisanterie ! balbutia-t-il... J’ai cru que la main invisible me tourmentait encore. Ah ! tu peux te vanter de m’avoir fait peur !

— Toujours ton absurde nervosité, Marcel !... Quel est ce vénérable bouquin ?... Un grimoire ?

— Non ; mais le traité d’un très sagace démonologue : Les Enquêtes Magiques du théologien Del Rio... Œuvre savante, suggestive ! Elle m’a démontré quelles apparences humaines aiment à revêtir certains démons.

— Tu ferais beaucoup mieux, mon bel ami, de méditer sur les Contes de Voltaire.

— Le ricanement de ce vilain singe m’a toujours indigné ; je préfère mon docteur de Salamanque... Je voulais savoir ; grâce à lui, je sais.

— Plus heureux que Montaigne !

— Montaigne ?... L’ancêtre de M. Homais ?... Je le déteste, autant que l’a maudit notre grand Pascal.

Il se leva, très agité, fit quelques pas, puis se rasseyant :

— Blondel, me demanda-t-il, crois-tu aux mystérieux et redoutables phénomènes de la seconde vue ?

— Qu’appelles-tu seconde vue ?

— La claire vision de notre obscur devenir.

— Tu connais mes sentimens de rationaliste endurci.

— Tant pis pour toi, et je te plains ; moi, je suis moins sceptique... Eh bien ! — sortilège ou miracle, — une main invisible m’a dernièrement conduit en face de ma destinée.