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— Chez quel nécromancien, crédule jeune homme ? Dans quel antre de pythonisse ?

— Une bizarre aventure a récemment traversé ma vie. J’en voulais conserver le secret, mais il me pèse. Tu es mon seul ami : conseille-moi donc, ou plutôt apprends-moi si je ne suis pas devenu fou.

— Bien ! Je devine... Histoire d’amour !... Enfin !

— Oui, d’amour,... d’abominable amour : d’amour satanique !... Ne ris pas ainsi. J’ai vu, te dis-je, ma destinée ; je l’ai vue, et j’ai peur.

M’ai loi) géant sur le canapé, j’allumai un cigare, voulant écouter sans interrompre. La nuit s’épandait autour de nous, et dans les grisailles du crépuscule je n’entrevoyais qu’un long corps agité par des frissons. D’abord timide, comme honteuse, la voix de Lautrem s’éleva peu à peu, et la terreur qu’elle décelait gagna bientôt mon cœur de voltairien. J’ai conservé de cette troublante soirée un ineffaçable souvenir.


« Le mois dernier, raconta Marcel, un vendredi, veille de l’Assomption, me trouvant à Naples, l’idée me vint d’aller visiter Pompéi. Je désirais évoquer dans cette ville de la mort une contrastante pensée de vie, y chercher le sujet d’un drame, humain et fantastique à la fois. Je déjeunai donc à la hâte, — frugal repas, car ma bourse criait famine, — et bientôt, le train me déposait à la Torre d’Annunziata. Entré dans Pompéi par la Porte de la Marine, je m’empressai de congédier mon guide ; son bavardage me fatiguait, et j’avais l’intention de vagabonder à ma guise. Le Forum, ses temples, la Curie, la Halle des drapiers me retinrent assez peu de temps ; je poussai plus loin, et m’élançai dans la Via della Fortuna... Quelle journée ! La chaleur était accablante ; sous le ciel ruisselaient les rayons d’un implacable soleil ; dans la ville abolie s’étendait le silence de ce qui fut, la muette ironie de l’effort humain, le mystère de l’au-delà, son épouvantement !...

... Au loin, dans les églises de l’Annunziata, la cloche de l’Angélus se mit à tinter : midi sonnait... Tout à coup, je sentis une faible pression à mon épaule : une main venait de s’y poser, qui me caressait doucement. Je tournai la tête. Personne ! la rue et ses bordures de béantes maisons s’allongeaient désertes...