Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Surpris, même effrayé, je voulus rebrousser chemin : la pression se fit douloureuse ; des ongles m’effleuraient la chair ; on me contraignait d’obéir...

... Qu’était cela ?...

... Le souvenir me revint alors d’une antique prière de notre liturgie catholique : « Seigneur, écarte de notre route le démon de midi. » Aux heures où flamboie le soleil, ces sortes de démons, affirment les théurgistes, aiment à ramper dans les châteaux en ruines, ou sur l’effondrement des cités ; ils se plaisent à narguer ce que l’homme a nommé la vie... Mais, bah ! trois années de Villa Médicis m’ont rendu philosophe, et je me pris à plaisanter : « A d’autres ! vieux fantoche, grotesque épouvantait de mon enfance ! Tu ne me fais plus la moindre peur, aujourd’hui. Je... » Le rire s’arrêta sur mes lèvres : les griffes me lacéraient ; j’éprouvais aussi la sensation d’une atroce brûlure. « Marche ! marche ! » et je marchai. La main se fit moins rude ; elle me guidait...

... Ainsi mené, je m’engageai dans le Cardo, parcourant ces riches quartiers des élégances pompéiennes, qui montent vers la Porta Vesuvia. Terrassiers et maçons s’en étaient allés faire la sieste ; la solitude s’étendait au loin, terrifiante : j’étais seul, désespérément seul, avec l’invisible compagnon...

... Mais voici qu’une maison récemment exhumée attira, fixa, fascina mon regard. Deux colonnes à chapiteaux toscans lui formaient un péristyle, et de chaque côté de l’ostium j’apercevais des peintures murales... Je m’approchai... Aussitôt, un léger sifflement, ignoble invite de mérétrice, se fit entendre : on m’appelait... « Non ! non ! » Et je me hâtai de passer outre. Alors, la main qui m’étreignait me cloua sur place : c’était là,... là qu’on m’enjoignait d’entrer... »

— Te moques-tu, Lautrem ? interrompis-je... Je ne te savais pas, mon cher, si imperturbable mystificateur.

— Épargne-moi, Blondel, tes plaisanteries, et ne me fais préparer aucune espèce de cabanon. Je ne crois pas, absolument pas, aux démons de midi ; même, sous les griffes torturantes, je me rendais parfaitement compte que j’étais victime d’une hallucination. Es-tu satisfait ? je raisonne comme toi, en matérialiste, en petit holbachien. Mais je dois te confier un triste secret de famille. Souvent dans mon enfance, je fus la proie de pareils vertiges. Mon père, au cours de ses voyages à Hong-Kong,