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— Interrogez votre directeur.

— Il est plus ignorant qu’un pêcheur de langoustes.

— Adressez-vous à nos grands hommes d’Académie.

Deux rebuffades ! Mais Sant’Angiolo ne lâchait pas sa proie ;

il se dandinait à côté du franciscain ; moi, je le suivais, m’amusant de sa déconvenue.

— Lazare, cher monsieur et... ami, n’a-t-il pas comme vous endossé le froc ?

— De quel Lazare me parlez-vous ?

— Du vrai, du seul, de l’inimitable Lazare : le ressuscité ; l’amphitryon du philosophe Jésus.

Le religieux ralentit le pas, et très hautain :

— Epargnez-moi, s’il vous plaît, les plaisanteries usées de votre petit rationalisme.

— Entendu !... Je voudrais néanmoins savoir quel costume portait ce Lazare lorsque...

— Un linceul !... L’habit, monsieur le comédien, qui doit couvrir, un jour, bien des sottises, bien des turpitudes humaines.

— Bravo ! Du tac au tac !... Mais la question est intéressante et je continue... Lazare était-il capucin, carme ou récollet quand il rencontra dans Capri la sirène Leucosia ?

Au mot de Leucosia, le franciscain s’arrêta net. Il allongea la tête, cherchant à distinguer les traits de l’ignare personnage qui le pourchassait, puis très ému :

— Qui donc, monsieur, vous a raconté cette histoire ?

— L’ayant lue en d’antiques bouquins, j’en ai tiré un sujet d’opéra.

— Vous êtes l’auteur de Leucosia ?... Vous, monsieur ?... Vous ?

— Moi !... Ou plutôt, j’ai rendu attrayante certaine pasquinade, informe et grotesque fatras : du fumier j’ai su extraire une perle.

— Du fumier ? Une perle !... Vous avez, monsieur, le génie d’un Virgile... Mes complimens !

— Ainsi, vous refusez de me répondre ?

— Oserais-je vous demander, à mon tour, sur quel théâtre et à quelle époque on doit représenter votre... chef-d’œuvre ?

— Très prochainement, à San-Carlo.

— Ah !... Quels sont vos interprètes ?