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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/289

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Elle jeta sa cigarette, et la demoiselle des cafés-concerts tunisiens reparut en la princesse Diva Campofiori.

— Tu es devenu bien laid, hideux, presque répugnant, mon pauvre Marcel ; néanmoins, tu me plais, aujourd’hui. Un Savonarole pour amant, quelle aubaine !... Allons, approche, protagoniste de la morale ; faisons la paix : je t’ouvre les bras.

Lautrem étendit les mains, comme pour écarter quelque abominable vision :

— Ignoble et infâme !... Une autre Astaroth !

— Astaroth... Astarté, appelle-moi comme tu voudras ; mais je suis la Femme ! Oui, la Femme, — entends-tu, comprends-tu ? — la Femme qui connaît sa puissance et sait toute la faiblesse des saints tels que toi. Va, je t’ai bien deviné. La haine que tu m’as vouée n’est que la frénésie d’une passion déçue. Tu aimes, et subis la torture de n’être pas aimé. Dans le couvent où tu as fui, la Femme,... Esther, j’imagine,... s’est acharnée sur toi. Ton âme, ton cœur, ta chair se débattent sous ma possession ; même aux pieds de ton Dieu, tu n’adores d’autre Dieu que moi. T’ai-je bien analysé ? Ose me démentir... L’Astaroth, monsieur le porteur de cilice, c’est vous-même.

Et de nouveau, elle jeta le défi de son rire insulteur.

— « Tu n’auras plus d’autre Dieu que moi ! » accentua la voix frémissante de Marcellus... Femme, telles sont les paroles qu’à pareil jour, voilà vingt ans, j’entendis sous la main glacée de l’Astaroth. Qui vous a révélé mon secret ? De quel démon êtes-vous confidente ?... Ah ! ah ! vous ne riez plus. Vous comprenez enfin que les rires de l’Enfer finissent toujours en grincemens de dents.

— Cet homme est fou ! exclama la Campofiori, soudain alarmée, et se levant... Cecco, amène l’Aiguille : partons.

— N’approche pas, Cecco ! enjoignit le franciscain... Fais ta prière, mon fils, et demande au Ciel de m’assister... Vous, femme, à genoux !

— Tâchons d’accoster, dis-je à Gennaro... Le moine n’a plus sa raison ; peut-être la princesse est en danger. Vite, vite : dépêchons !

— Non, monsieur ! Je ne bougerai pas... Nous sommes, dans notre pays, trop stupides pour comprendre, trop fainéans pour agir... Du reste, moi aussi, j’obéis aux commandemens du padre.