Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’admirai, encore que préférant les académies du Titien ou de Rubens. Toutefois, prenant mon carnet à croquis, je commençai une rapide esquisse.

— D’aucuns prétendent, continua le discoureur, que la figure de l’Astarté a le type israélite. On suppose qu’une superbe juive a servi de modèle, et...

— Esther,... mon Esther ! interrompit tout à coup une voix. Je sursautai, et tournai la tête.

Un sordide va-nu-pieds, répugnant vieillard en haillons, venait d’entrer dans la villa, s’était enfoncé dans un angle de l’atrium, et paraissait attendre notre départ. Les gestes incertains de ce vagabond annonçaient un aveugle. Pourtant, semblable à un chien en quête, il flairait de loin les misses Hatchinson, poussait des grognemens lubriques, faisait claquer sa langue, haletait bruyamment : un idiot.

Eccolo ! Voici notre fou, me dit le Napolitain... Il vient, comme chaque jour, débiter maintes tendresses à la fresque dont il est épris. Vous allez, monsieur, vous divertir.

— Esther, ma Diva ! soupirait le loqueteux,... pourquoi me refuses-tu l’aumône de ton sourire, toi qui m’as dit : « Je t’aime ! » sous les arceaux de la grotte enchantée, sur le mouvant semis d’émeraudes ?

Dreadful ! j’ai peur, me cria Margaret qui, suivie d’Olivia, accourut se mettre sous ma protection.

— N’ayez aucune crainte, mes jolies dames, déclara notre cicérone : le pauvre hère est plus inoffensif qu’un mouton. Il a passé cependant par la Cour d’assises ; mais qui de nous, per Giove ! ne s’est assis ou ne s’assoira jamais dans la cage de fer ?

— Cet homme habite Castellamare ? demandai-je, angoissé.

— Oui et non. C’est un ancien moine, autrefois fameux par ses miracles... Disgraziàto ! Plus fêlé, aujourd’hui, qu’une soupière du Musée étrusque !... De charitables personnes l’ont placé dans un asile, près de notre ville.

— On le laisse ainsi vaguer, à sa guise ?

— Un innocent ! monsieur. Et si doux, si doux !... Chaque jour, au coup de midi, il vient rendre sa petite visite à Mme Astarté, la cajole, lui conte mille fadeurs, fait le galant, le patito... Comment peut-il se diriger avec des yeux presque aveugles ? Mystère !