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— Ou auto-suggestion ! fis-je épouvanté... Vous en avez tous compassion, n’est-ce pas ?

— A quoi bon contrarier un pauvre être du bon Dieu ? Torquato Tasso, — nous le nommons ainsi, parce qu’il est poète, — ne mendie pas ; il accompagne parfois le touriste, l’égaye par ses grimaces, et gagne honorablement quelques sous. On lui fait chanter des airs de sa façon, déclamer des vers de son cru, même sur ses jambes flageolantes il danse comme une ballerine. Vous allez voir... Eh ! Torquato Tasso ! Eh ! le corybante ! exécute-nous cette pyrrhique dont parlait, hier, le professeur allemand.

— Non, de grâce ! m’écriai-je... Epargnez-moi la vue d’une pareille ignominie !

L’idiot cependant s’était rapproché et, tombant à genoux, tendait les bras vers l’image de l’Aphrodite :

— Esther, mon Astarté !... Ah ! que ne puis-je sentir sur mon front brûlant la fraîche, la calmante, l’ineffable douceur d’un seul de tes baisers ?

improper !... Je veux partir, enjoignit durement miss Olivia. Ce vaurien barre le passage : chassez-le !

— A vos ordres, signorina ! mais le chasser d’ici ne sera pas facile... Ouste, l’ami ! décampe : tu nous gênes.

— Esther, mon Astaroth !... Oui, je t’ai adorée plus passionnément que mon Dieu ;... oui, je t’ai tuée, malheureux ! pour ne plus t’aimer. Mais nul n’échappe à son destin : je t’aime ; je t’aime, toujours je t’aimerai.

Il répétait quelques-uns des mots que, railleuse et voulant braver le franciscain, Diva Campofiori avait prononcés dans la Grotte de la Sirène... Et muet d’étonnement, je me rappelais la mystique aventure arrivée à mon camarade d’Ecole ; son vagabondage à travers les rues désertes de Pompéi ; son entrée dans la maison maudite ; son hallucination ; le baiser d’entière, d’exclusive, d’indestructible possession que lui avait donné l’Anadyomène, et les menaçantes paroles de cette Aphrodite, maîtresse de nos actes, arbitre de nos destinées, fin dernière de tout ce qui vit, souffre, meurt ici-bas : « Tu ne connaîtras plus d’autre Dieu que moi. » Sa parole s’était accomplie. Le poète, le musicien, Marcellus l’ardent poursuiveur de l’Idéal, même ce moine de la Campanella qui naguère se débattait contre la tentation, n’était plus ; rien n’en restait qu’un érotomane. Pareille