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cristallisation dans le passé, que les désastres de la guerre japonaise étaient un avertissement. Ils voulaient, comme lui, moderniser la Chine en lui conservant sa traditionnelle mentalité.

Kouang-Hsiu avait l’ambition d’être un réformateur. Instruit par Kang-Yu-Ouei, aidé de ses disciples, il rêvait d’égaler Pierre le Grand et Mutsu-Hito. Mais, avec le zèle des néophytes, il voulut tout modifier à la fois. Les édits se succédèrent pour annoncer des changemens imminens dans l’administration intérieure de l’Etat. Les coteries dévouées à l’ancien ordre social, par intérêt, par la frayeur des innovations, s’émurent. L’édit du 11 juin 1898 changea leur émotion en colère. Il abolissait les concours littéraires pour les grades du mandarinat, et leur substituait des examens analogues à ceux des Universités d’Occident ; il promettait la fondation de collèges pour l’enseignement des lettres, des sciences et de la philosophie européennes ; il créait des comités pour l’étude rationnelle des questions administratives et agricoles ; il organisait les finances par l’établissement d’un budget impérial et des budgets provinciaux ; il supprimait la vénalité des charges, reconnaissait la hiérarchie catholique et proclamait la liberté des cultes étrangers.

À cette époque, Yuan-Chi-Kaï était le chef des traditionalistes chinois. Il s’exagéra les périls, plus grands pour sa situation et son prestige que pour la paix intérieure de l’Empire, où conduisait la politique de Kouang-Hsiu et prépara le coup d’Etat de l’impératrice douairière, qui reprit le pouvoir par une rapide et sanglante révolution de palais. L’Empereur est interné, soumis à un traitement de dégénérescence physique et morale qui devait le transformer, suivant l’expression du docteur Matignon, en « triste échantillon de l’espèce humaine ; » ses conseillers, emprisonnés, périssent presque tous dans les supplices ; Kang-Yu-Ouei s’échappe et se réfugie dans l’Inde britannique où l’Angleterre le pensionne et d’où, moins tenace que Sun-Yuat-Sên, il ne sortira plus.

Pendant trois ans, l’énergique Tseu-Hi régna selon les antiques formules ; mais, après l’échec du mouvement boxer, elle dut comprendre qu’elle ne pouvait résister plus longtemps à la poussée des idées nouvelles. De tous côtés, le moule de la tradition craquait. Des émeutes ensanglantaient sans cesse les