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loyalisme et leur entrain suivaient les fluctuations de la solde et de la fidélité des chefs. Les causes qui paraissent perdues soutiennent mal, en effet, l’enthousiasme ; un trésor en détresse est un faible excitant pour l’héroïsme de ses défenseurs ; les intrigues politiques des généraux sont des tentations et des exemples dangereux pour la correction loyaliste de leurs subordonnés. C’est donc aux séditions militaires que la Révolution doit ses rapides progrès. Travaillée adroitement par les amis de Sun-Yuat-Sên, masquant sous une discipline de parade une ignorance totale des principales vertus guerrières, exposée par l’éloignement des garnisons provinciales à toutes les cupides combinaisons de ses chefs, l’ « armée moderne » chinoise était la planche pourrie qui soutenait le régime impérial et qui devait soutenir bientôt le régime républicain. Hâtivement organisée par le décret de 1910, piètrement encadrée par des officiers qui dédaignaient les enseignemens des instructeurs étrangers, elle manquait de cohésion et l’infinie vanité nationale y remplaçait la notion du devoir. Elle était, comme la plèbe où elle se recrute, passive en apparence, d’un dressage mécanique facile, rustique, résistante, mais raisonneuse, violente, avide, et prête aux manifestations collectives par son aptitude naturelle aux groupemens mystérieux. Les jeunes intellectuels qui, en leur qualité d’officiers, vivaient au contact de la troupe, acquéraient sur elle un indiscutable ascendant ; peu gênés par les scrupules, par la formation mentale et professionnelle de leurs collègues occidentaux, ils ont renouvelé sans hésiter, par intérêt ou par ambition, les séditions des prétoriens. La lenteur des communications à travers l’immense Empire ayant imposé l’organisation régionale, l’esprit particulariste des chefs et des soldats s’est en effet manifesté dès les débuts de la Révolution. C’est ainsi que les garnisons du Seu-Tchouan fraternisèrent avec l’émeute, que les troupes de Nankin durent être désarmées par les autorités prévoyantes, qu’il fallut éloigner des opérations celles du Ho-Nan, que l’armée de Canton passa aux rebelles. De tous côtés, ce sont des massacres d’officiers, de grands personnages dont la fermeté gêne les conjurés ; c’est le maréchal tartare de Canton, le vice-roi du Seu-Tchouan, le général Wou-Lou-Tcheng qui paient de leur vie leur fidélité à l’Empereur. L’armée du Nord elle-même, celle que Yuan-Chi-Kaï avait formée, où l’émulation provoquée par la présence