déchirant Amen ; elle se tut, puis les oraisons liturgiques reprirent dans le chœur. Je m’approchai alors de Lautrem, et me nommai. Il me dévisagea d’un œil égaré, semblable à ces somnambules qu’on arrache brusquement à la béatitude d’un rêve. Enfin, me reconnaissant :
— Blondel ! Je suis content de vous retrouver, camarade… Vous fréquentez donc les églises, monsieur le rationaliste ?
— Trop heureux, illustre Marcellus, d’avoir éprouvé cette fantaisie passagère ! Votre Panis Angelorum est une œuvre superbe.
— Penh !… Mais quelle interprète ! Avez-vous jamais entendu plus délicieux cantique de séraphin ? Merveilleuse artiste !…
Une harpe vivante attachée à son cœur !…
— Ainsi parla Musset de la Malibran.
— Je ne veux pas être Musset, et vous m’offensez. Un massacreur de vers, plat diseur de lieux communs, rimaillant à la diable, monnayant, le drôle ! une chose sacrée : la douleur ! Et quel abject sensualisme chez cet ivrogne qui eut besoin de l’absinthe pour se guérir d’avoir aimé. Ignoble ! Oh ! je l’ai démoli !… Mais sortons, un instant ; nous troublons le recueillement des fidèles.
Me précédant, ce blasphémateur du divin Musset franchit le seuil de l’église, en descendit les marches, et s’arrêtant devant la façade :
— Oui, Blondel, reprit-il, quelle voix, quelle âme, quelle intelligence du plus noble des arts ! Vous avez raison : une autre Malibran. Et c’est moi, moi, qui l’ai découverte !
— Vous me parlez de la cantatrice, votre interprète ?… Je partage votre enthousiasme. La passion, l’ardeur…
— Ardeur de néophyte ! Elle était juive, misérablement juive, et c’est encore moi qui l’ai convertie. À l’insu de sa famille, d’un oncle aussi ridicule que fanatique, elle a désiré recevoir le baptême. La voici chrétienne, bonne et fervente chrétienne : maintenant, nous pouvons nous marier.
Il soupira douloureusement :
— Épousailles d’artistes, mon camarade : le paradis juché à un cinquième étage de la rue Vavin ! Ma femme donnera des leçons de chant ; moi, je composerai des oratorios, et nous vivrons très heureux dans un nid d’amour, de baisers, de