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l’âme et d’exprimer par le dessin et la couleur toute la complication savante de son cerveau ; l’autre a badigeonné les murs des églises en simple et fidèle ouvrier d’art qui aime son métier et ne vit que pour lui. Luini n’était pas un intellectuel ; il a donné ses œuvres comme les beaux arbres de son pays donnent leurs fruits juteux et savoureux. Cela se voit surtout dans ses travaux de jeunesse, quand il n’a encore subi aucune influence étrangère, par exemple dans ce Bain des Nymphes dont la facture si libre et si moderne rappelle parfois Puvis de Chavannes et Renoir. Quel charme naïf chez ces jeunes filles qui sortent du bain ou se déshabillent pour y entrer ! Leurs membres musclés, leur chair souple et veloutée, tout en elles crie la joie de respirer sous un ciel heureux. C’est que Luini était aussi un sage. A une époque où la guerre et la peste ravageaient le Milanais, il trouva le moyen de vivre dans une sorte de rêve, ignoré au point que nous ne connaissons guère sa biographie que par les dates de ses toiles et de ses fresques. Soit par nécessité, comme le voudrait la légende, soit peut-être simplement par désir de tranquillité, il se plut surtout dans la calme retraite des cloîtres où, pour une somme sans doute infime, mais dégagé des soucis matériels, il pouvait se donner entièrement à la profession enchantée, la mirabile e clarissima arte di pittura. Il aima particulièrement le sanctuaire de Saronno où il semble avoir fait deux longs séjours. Nulle part, en tout cas, je ne me suis senti si près de lui. Déjà, le 4 octobre 1816, Stendhal y était venu pour voir ces fresques « si touchantes » qu’il déclare avoir « tant admirées. » Comment a-t-il pu dire, un autre jour, à propos de la beauté lombarde, « qu’aucun grand peintre ne l’a rendue immortelle par ses tableaux, comme le Corrège fit pour la beauté de la Romagne et Andréa del Sarto pour la beauté florentine. » Sans relever l’étrangeté de ces comparaisons, quelle injustice pour Luini ! Je trouve au contraire que celui-ci a parfaitement fixé cette beauté dont parle Manzoni molle a un tratto e maestosa che brilla nel sangue lombardo, cette race, à la fois douce et robuste, et surtout ces femmes aux formes opulentes, aux yeux langoureux, aux narines frémissantes, aux joues fraîches que l’on devine moelleuses au toucher comme la pulpe d’un fruit mûr.

Stendhal, en parlant ainsi, oubliait également Léonard qui, au sortir de la suave mais un peu austère Toscane, sentit