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à la Villa Médicis ?... Eh bien ! ce Del Rio nous fournit peut-être la clef de notre énigme. Ecoutez-le : « La seconde espèce de démons est la plus redoutable de tous. Esprits de corruption, ils se plaisent à revêtir des formes féminines, et femmes par le corps, femmes par la perversité, causent la damnation des imprudens qui se laissent charmer... » Comprenez-vous maintenant ?

Ah çà ! devenait-il fou ? Prétendait-il me mystifier ? Oui, sans doute, car il se prit à rire :

— Plaisante explication, n’est-ce pas ? L’Astaroth me dépêchant la sirène Leucosia, ou plutôt s’incarnant pour perpétrer l’œuvre de ses vengeances ! Sur une pareille donnée je pour- rais bâtir un beau conte romantique, le pendant de l’Albertus du bon Théo. Mais notre époque se complaît aux platitudes naturalistes ; ma nouvelle n’obtiendrait aucun succès : j’y renonce.

Et il riait, il riait. Alors, d’une voix haletante, l’auteur de Leucosia me développa d’abstruses théories sur la possession démoniaque... Depuis le jour où, dans l’Eden, le Tentateur avait perverti l’homme, Satan s’acharnait sur cette proie. Hellénisante ou chrétienne, l’humanité avait toujours cru aux esprits ; bons ou mauvais, ils dirigent nos actes, souvent s’unissent à notre corps. Lautrem me cita Socrate qu’habita un démon bienfaisant, inspirateur de sa philosophie ; le second Brutus, le César Julien qui subirent, au contraire, d’infernales hantises ; celui-ci, apostat ; celui-là, parricide. Les préteurs, les préfets des Sévère ou des Dioclétien s’agenouillèrent dans la fosse des Tauroboles, y reçurent, inondés de sang, le baptême de la Bête, l’absorbèrent elle-même, et se relevèrent, persécuteurs du Christ. Le moyen âge avait cru, tout entier, à la possession. « Luther, l’abominable Luther, s’écria-t-il, a conversé avec le diable ; même, à la Wartbourg, il lui a jeté son encrier à la tête ; Richelieu fit exorciser les religieuses de Loudun pour les libérer des incubes ; Shakspeare eut une foi entière dans le pouvoir des ghosts, des revenans ; Pascal cachait sous son vêtement une amulette qui écartait le démon ; Racine assista aux Messes noires, et quand la Montespan s’étendait toute nue sur l’autel satanique de la Voisin, elle représentait la croyance du Grand Siècle. »

— Un temps d’ignardise, votre Grand Siècle ! Voltaire en a fait bonne justice.