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dans le même sens, si cela est possible, car ce que l’on nous propose pourrait nous attirer des suites bien fâcheuses. »

Non content d’avoir dicté cette lettre à l’Empereur, Thugut en fit écrire une autre par l’Impératrice à sa mère Marie-Caroline.

« Mon cher mari, disait la jeune souveraine, m’a chargée de vous supplier en son nom que vous daigniez, dans cette affaire de Russie, ordonner à vos ministres de même que lui le fera aux siens, d’agir de concert et bien sincèrement se communiquer tout pour le bien commun. Je suis sûre qu’il fera tout son possible pour que mon cher père soit content. » Comme si elle eût rougi de se faire vis-à-vis de ses parens l’instrument des ambitions de l’Autriche, elle ajoutait : « Mon cher mari, qui vous baise les mains, vous est aussi sincèrement attaché et j’ose affirmer que bien des choses qui ont dû vous déplaire ne viennent pas de lui. Son cœur est bon : que je gémis de voir que l’on abuse trop souvent de sa bonté pour satisfaire à des inimitiés et à des passions personnelles ! »

Il y avait beaucoup d’hypocrisie dans ce langage, car l’Impératrice n’ignorait pas et cherchait à cacher que l’Autriche aspirait à s’emparer de la presque totalité de l’Italie et était hostile à l’agrandissement du royaume de Naples. Aussi, la proposition de Congrès, à peine connue, rencontra-t-elle à Vienne une opposition encore déguisée, mais qui n’allait pas tarder à se manifester.

A Londres, elle ne recevait pas un meilleur accueil. Elle fut connue, le 22 août, par une dépêche que l’ambassadeur Withworth adressait à lord Grenville, chef du Foreign Office et par l’ordre de la présenter au Cabinet britannique que Rostopchine envoyait au nom de l’Empereur au comte de Woronzoff, ambassadeur de Russie, en même temps qu’un double du questionnaire qui avait été présenté à la cour de Vienne.

Withworth se montrait favorable à la proposition. Il exposait qu’elle ne portait aucune atteinte au droit qu’avaient les princes dépossédés par la guerre d’être remis en possession de leurs Etats. Elle ne favorisait pas davantage les ambitions de l’Autriche, l’empereur de Russie ayant déjà déclaré qu’il ne consentirait à aucun agrandissement de cette maison, en Italie ni ailleurs. Mais lord Grenville ne fut pas de l’avis de son