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l’empereur de Russie à accueillir favorablement, lorsque le moment serait venu de le lui faire connaître, le programme qu’elle s’était tracé. Déjà, son ambassadeur, le comte de Cobenzl, dès son retour à Saint-Pétersbourg où il était revenu au mois d’août 1798, en quittant le congrès de Radstadt, s’était efforcé, conformément aux instructions qui lui avaient été données à Vienne, de gagner la confiance du Tsar. Rien qu’il recourût « aux prévenances les plus basses, » il n’y avait pas réussi pour des causes que nous avons indiquées plus haut et qui tenaient moins à l’attitude par trop discrète et trop dissimulée qu’il avait prise vis-à-vis des hommes d’Etat russes qu’à l’antipathie toute personnelle qu’inspirait sa personne au monde de la Cour. Cette antipathie venait même de se manifester sous une forme humiliante pour lui et de donner lieu à un incident que nous révèle le chevalier de Bray.

On était alors à la veille du mariage de deux des filles de l’empereur Paul, les grandes-duchesses Hélène et Alexandra. La première devait épouser le prince de Mecklembourg-Schwerin, la seconde l’archiduc Joseph, frère de l’empereur d’Autriche et Palatin de Hongrie. C’est le mariage de celle-ci qui donna lieu à l’incident dont nous parlons et que le chevalier de Bray relate en ces termes :

« Le comte de Cobenzl, depuis son retour de Radstadt, n’avait plus joui d’aucun crédit. Une maladie dégoûtante dont il fut attaqué et qui, de fort laid qu’il était, l’a rendu hideux, écarta de lui au physique, comme son caractère perfide en écartait au moral. Il devait épouser la grande-duchesse par procuration ; mais il inspirait un tel dégoût et une répugnance si invincible à l’Impératrice et à la princesse qui aurait été obligée, selon le rite grec, de boire à la même coupe que lui dans la cérémonie du mariage, qu’il fallut renoncer à ce projet et que l’archiduc fut obligé de venir en personne. »

Ajoutons à cette piquante révélation que l’Empereur et l’Impératrice souscrivirent avec d’autant plus d’empressement au désir de la grande-duchesse qu’elle était leur préférée surtout depuis le jour où, trois ans avant, sous le règne de Catherine, à la suite de la rupture de ses fiançailles avec le jeune roi de Suède Gustave IV, ils avaient été obligés de redoubler pour elle de tendresse et de soins afin de la consoler de sa déconvenue. Cobenzl fut donc écarté à son grand mécontentement, qui devint