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plus vif encore quand il put constater que le Tsar affectait vis-à-vis de lui une froideur de plus en plus marquée et à ce point que, bientôt, il cessa de lui adresser la parole.

Cependant, à Vienne, l’archiduc Joseph se préparait à partir pour se rendre à l’appel de la famille impériale de Russie. Afin de donner plus d’éclat à son voyage, il avait été décidé que le prince Ferdinand de Wurtemberg, frère de l’impératrice Marie Feodorovna, officier général au service de l’Autriche, l’accompagnerait. Cette circonstance apparut à Thugut comme favorable à ses desseins politiques. Il pensa que le beau-frère et le futur gendre de l’empereur Paul auraient plus facilement accès auprès de lui, en vue d’une entente nécessaire, que l’ambassadeur dont la disgrâce n’était plus un secret. Des instructions leur furent données en raison de la mission accessoire et confidentielle dont on les chargeait et qui avait pour but de rallier la Russie aux vues de l’Autriche. A titre de guide et de conseiller, on leur adjoignit un diplomate, le comte de Diechtristein, que l’on considérait comme un homme habile et expérimenté. Il avait déjà rempli plusieurs missions à Saint-Pétersbourg. Son mariage avec la fille de la comtesse Schouvalof lui avait ouvert le monde de la Cour et l’avait fait nommer chambellan de l’Empereur. Paul Ier ne se méprit pas aux causes qui avaient déterminé le baron de Thugut à donner à l’archiduc Joseph les deux compagnons qui partaient avec lui. En apprenant leur arrivée prochaine, il s’écria :

— Mon palais va donc être infesté par la politique !

Dès ce moment, « il soupçonna des vues cachées, des plans insidieux. » L’accueil qu’il fit au trio s’en ressentit. Tout d’abord, il refusa de recevoir, à Gatchina, le comte de Diechtristein, lequel, jugeant sa présence inutile et ne pouvant obtenir une audience, repartit au bout de trois jours. Restés seuls aux prises avec le Tsar, le prince de Wurtemberg et l’archiduc Joseph essayèrent vainement de mettre la conversation sur le terrain politique. L’Empereur se déroba à toutes leurs tentatives. Il fit défense à l’archiduc de lui parler affaires. Celui-ci ayant un jour voulu passer outre, il le menaça de le mettre aux arrêts dans sa chambre. Le prince de Wurtemberg ne fut pas plus heureux. Malgré l’intervention de sa sœur, l’Impératrice, il ne put aborder avec son beau-frère le sujet dont il eût voulu l’entretenir. On peut placer à cette date l’origine de l’irritation