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qu’étonné j’observai Mosselman. A la clarté du gaz qui brûlait devant la villa, je voyais un visage blême de fureur, des yeux qu’allumait la rage, des lèvres frémissantes. Était-ce l’homme qui s’était apitoyé, tout à l’heure, sur l’amour de Lautrem ? Qu’avait pu lui raconter Diva, pour produire un pareil accès de colère dans cette veulerie jusqu’alors résignée ?

Il marcha vers nous, puis croisant les bras :

— Ainsi, vous avez lâchement abusé de notre misère, et mis à profit notre détresse ? Monsieur, c’est ignoble !

Lautrem le regardait, ahuri :

— Que signifie, mon cher Mosselman ?...

— Oui-dà ! « Mon cher, mon bon, mon excellent Mosselman... » Allez-vous me régaler encore de vos flagorneries ? Inutile ! Gardez pour d’autres dupes votre goupillon d’eau bénite. Esther m’a enfin tout avoué.

— Esther ?... Je ne saisis pas cette énigme.

— Vraiment ?... Si peu d’intelligence ?... Vous me comprenez fort bien.

Et il se mit à larmoyer sur sa « rose de Saron, » son « muguet de la vallée, » sa « colombe, » sa « brebis sans tache, » qu’un impur gentil n’avait pas craint de souiller.

— Mensonges ! interrompit Lautrem... J’ai toujours respecté votre nièce. Chrétien et catholique, j’ai la notion de l’honneur.

Mosselman allongea le poing, d’un geste de forcené :

— L’honneur ?... L’honneur compris à la façon de vos rabbi, suborneurs de consciences ou acheteurs d’enfans ! Oui, monsieur, Esther m’a tout raconté. Sournoisement et à mon insu, trahissant ma confiance, vous avez obligé une fille d’Israël à subir l’opprobre de votre baptême.

— Je ne l’ai pas contrainte... Et puis, que vous importe ! Elle va devenir ma femme.

— Que m’importe ?... Monsieur, monsieur, vos chrétiens ont brûlé ma demeure, pillé mes héritages, massacré mon frère, mes deux fils : des vaillans, la sainte espérance de ma maison ! Sans eux, la vie m’est plus déserte que les sables de l’Horeb. Ils me les ont tués ! Ils nous ont obligés, ma nièce et moi, à errer faméliques sur la surface du monde, à pleurer sur tous les fleuves de Babylone. Et vous croyez peut-être que j’ai l’amour de mes bourreaux ? Je les hais ; je les hais !... Esther Mosselman, chrétienne ? Renégate, elle, elle qu’a consacrée au