Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/403

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une façade telle que celle de Sainte-Croix de Jérusalem à Rome, qui fut longtemps si décriée, est cependant l’une des plus admirables qu’il y ait en Italie[1].

Prenons un autre exemple des libertés que l’on a reprochées au XVIIe siècle. Que de blâmes contre les colonnes torses du Bernin ! Et cependant, ne suffirait-il pas, pour justifier le Bernin, de dire que c’est là une forme délicieuse, une des plus ravissantes de l’architecture, de rappeler son prodigieux succès, de faire remarquer que les anciens eux-mêmes l’avaient employée, que le Moyen âge en avait été particulièrement épris et que, de nos jours encore, c’est une des formes qui nous séduisent le plus. Et l’on peut encore ajouter, si l’on veut se placer au point de vue des néo-classiques, que la nature elle-même nous en donne des modèles et nous la conseille. Il est rare que l’arbre s’élève droit et arrondi comme une colonne ; et que de fois le lierre et la vigne vierge s’enroulent autour de lui ! On peut donc dire que cette forme si décriée, considérée comme une des plus critiquables du XVIIe siècle, a au contraire tout pour elle, la beauté, la tradition et les exemples de la nature.

Disons enfin un mot de l’emploi architectural des colonnes. Les architectes du XVIIe siècle, en utilisant la colonnade antique comme portique en avant d’une église, eurent l’idée, au lieu de donner à chaque entre-colonnement une même dimension, de mettre plus de distance entre les colonnes centrales. Ils furent conduits à agir ainsi pour marquer le centre du monument et donner une largeur plus grande à cette partie du portique que le public devait choisir de préférence comme entrée. C’était logique et ce n’était contraire à aucune idée esthétique. Cependant ici encore que de critiques ne leur a-t-on pas adressées. Sans prendre la peine de donner aucune raison sérieuse, on se contentait de dire que c’était une forme détestable, puisque les Grecs ne l’avaient pas employée. Or quand Milizia prononçait un tel arrêt il ne se doutait pas que les Grecs précisément avaient fait usage de cette forme qu’il jugeait si condamnable et, dans les Propylées d’Eleusis, avaient donné un exemple

  1. Au surplus, on peut trouver les premiers germes de ce grand développement sculptural au-dessus des frontons chez les Grecs eux-mêmes, qui les avaient décorés d’acrotères. On peut même trouver chez eux l’emploi illogique des frontons, par exemple lorsqu’ils les placent à l’intérieur des édifices, là où rien ne justifie l’adoption d’une forme qui est essentiellement celle d’une toiture.