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frappe, c’est l’intelligence, la ténacité, et aussi la finesse et la dignité de ces visages. Ces hommes ne sont pas des rêveurs et ils savent ce qu’ils valent. Pour les femmes, elles ont toutes, outre l’honnêteté de l’expression, de la grâce et de la malice, même celles qui ne sont pas belles, — et il y en a de charmantes. Chez tous il y a de l’affinement dû peut-être à la culture française qu’ils prisaient si fort. On ne s’étonne point que de tels hommes et leurs descendans aient créé, de toutes pièces pour ainsi dire, et poussé à un si haut point l’industrie mulhousienne.

Mulhouse n’était guère qu’une cité agricole, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Les habitans s’occupaient surtout de cultiver leurs champs et leurs vignes ; de là l’importance des tribus que formaient les vignerons et les laboureurs. Il existait bien quelques petites fabriques de drap, mais ces fabriques ne produisaient, par le travail sur deux métiers, que des draps de qualité médiocre, achetés par les paysans des environs. La production totale pouvait s’élever de 50 à 80 000 aunes. Or un Mulhousien, Jacques Schmalzer, travaillant à Bâle dans une maison de commerce, s’était rendu compte par lui-même des bénéfices que procurait la fabrication des toiles peintes, déjà assez florissante en Suisse, à Genève, à Neuchâtel et à Bâle. Ce Schmalzer, dont la grosse figure ne manque pas d’ironie sous la coiffure à marteau, chercha, rentré à Mulhouse, à fonder une fabrique d’indiennes. Il lui fallait un dessinateur et des fonds.

Le dessinateur, Schmalzer le trouva dans la personne de Jean-Henri Dollfus, peintre de talent. La famille Dollfus était établie à Mulhouse depuis le XVIe siècle. La légende, — car ces grandes familles bourgeoises ont leur légende, — lui prête un ancêtre maure, un Adolfos ou Dolfos, au temps de la domination sarrasine en Espagne. De là sans doute, sur le cimier qui domine les armoiries, l’homme brun de l’écusson, vêtu d’azur au col d’or et chargé de la croix d’argent. La vérité est qu’elle se rattache à une famille patricienne de Westphalie, dont on a pu repérer le long du Rhin les successives migrations vers le Sud, Trarbach près de Coblence, Mayence, Strasbourg et Rheinfelden. C’est Rheinfelden qu’habitait Gaspard Dollfus, de la religion réformée, forgeron et coutelier, père du premier Dollfus qui se fixa à Mulhouse en 1553, comme maréchal ferrant,