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qu’il faut sauver. Terrible dilemme ; que faire ? Ce ne fut point, on le pense bien, sans tristesse, que les vieux bourgeois de Mulhouse abdiquèrent cette liberté dont ils étaient justement si fiers. Si les jeunes, pleins de confiance, saluaient avec joie le traité de réunion, d’autres pleuraient. Le docteur J.-J. Kœchlin, célèbre par la pipe énorme qui ne quittait jamais ses lèvres et qu’il cassa le matin même de sa mort, poussa le plus, parmi les négociateurs, à la réunion avec la France ; mais Jean-Henri Dollfus, de Volckersberg, dernier bourgmestre de la ville, s’y opposait de toutes ses forces, et Jean Dollfus, dernier bourgmestre lui aussi, en ressentait une telle peine qu’il refusait d’assister à la fête qui la glorifiait. Français, ils gardèrent tous le fervent amour de Mulhouse, et les qualités d’initiative alliée à la prudence, d’ardeur et de persévérance, et ce goût réfléchi de la liberté qu’ils devaient à tant de siècles de constitution républicaine et autonome. Français, toute leur énergie tendit à continuer non seulement la prospérité de Mulhouse, mais à lui conserver, autant que cela était possible dans les formes nouvelles, sa personnalité. Français au reste, ils le furent de cœur tout de suite, nouvel et admirable exemple de la facilité avec laquelle la France sait se faire aimer, — si passionnément Français qu’en 1887, lors des fameuses perquisitions allemandes, plusieurs des notables durent s’enfuir, ou, prisonniers, furent internés dans des forteresses ; — si passionnément Français qu’un dicton alsacien affirme ceci : « Quand l’empereur Guillaume II viendra à Mulhouse, l’Alsace sera germanisée ; » et l’Empereur ne s’y est encore pas rendu.

Tout ce que Mulhouse comptait d’hommes actifs et intelligens se consacra dès lors à l’industrie. Les vastes conquêtes de l’Empire lui ouvrirent un marché immense dont le blocus éloigna la concurrence anglaise, la seule qu’elle redoutât. Aux manufactures d’indiennes s’ajoutaient les tissages et les filatures pour le coton et la laine, et des ateliers de constructions, autour desquels se groupaient de petites industries accessoires. Les étoffes perses des Indes ne purent plus rivaliser avec celles de l’Alsace, tant pour le goût des dessins que pour la beauté des couleurs, et aussi à cause de la différence des prix. Ce fut un essor magnifique qu’activa la Restauration et que développa la création des chemins de fer, joignant à l’industrie des moteurs et des machines la construction des locomotives.