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amant, cela lui vaut l’inscription, sur sa note, d’un très gros péché ; mais que si elle se pare afin de plaire à son mari, et de le retenir ainsi auprès d’elle, il n’y a point de péché à se conduire comme elle fait. Et cependant, voici que cette parure, sans que la femme l’ait voulu, provoque les désirs coupables d’un jeune garçon rencontré dans la rue ? — Hé ! répond le P. Escobar, tant pis pour le petit drôle ! « Je l’avoue ingénument : il ne se peut pas que la malice d’autrui prive absolument une femme de la liberté de sortir et de se promener dans les rues, attendu qu’elle se priverait là d’une chose utile pour elle, et souvent nécessaire. »

Sur plusieurs de ces points, Pascal cite comme étant d’Escobar des phrases que le P. Weiss n’a pas retrouvées dans les premières éditions latines du Liber Theologiæ moralis, et qui, selon toute apparence, auront été « interpolées » par d’autres auteurs dans cette espèce de « manuel » pratique du confesseur. Et ceci m’amène à signaler une troisième catégorie d’erreurs de Pascal, qui consistent à rendre Escobar responsable d’opinions qu’il s’est simplement borné à transcrire dans ses Praxis, ou catalogues de toutes les opinions « probables » émises par des casuistes autorisés. Plus d’une fois le jésuite de Valladolid désapprouve, pour son propre compte, des doctrines qu’il nous expose sans commentaire, vingt pages plus bas, dans sa Praxis. Tel est le cas, notamment, pour la question de savoir si l’on peut souhaiter la mort du prochain en raison de l’intérêt personnel qu’on en retirerait, comme aussi pour la fameuse question des « restrictions mentales. » Lorsqu’il est tenu de nous dire sa propre pensée, Escobar condamne toute « restriction mentale, » et n’admet le souhait de la mort d’autrui qu’avec la seule excuse de l’intérêt général. Mais quand, ensuite, il découvre une opinion contraire chez l’un quelconque des maîtres qui lui paraissent des hommes d’un génie merveilleux en comparaison de l’ignorant qu’il est, comment s’empêcherait-il de la reproduire ? Lui-même nous l’avoue, avec une ingénuité bien touchante, à propos de la possibilité d’assister simultanément à quatre morceaux de messe. Il est convaincu, au fond, qu’une telle possibilité est « tout à fait absurde, » comme a osé le déclarer l’admirable Suarez. « Mais moi, qui ai lu tant d’auteurs approuvant cette opinion, comment me permettrais-je d’avouer qu’elle n’est pas revêtue d’une probabilité suffisante ? »

Et enfin il y a certaines questions sur lesquelles, malgré toute l’éloquence et toute la subtilité du P. Weiss, nous ne pouvons nous empêcher de donner entièrement raison à Pascal contre le P. Escobar :