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dans une position difficile. La brève, mais désastreuse, administration de Clugny avait creusé un vide nouveau dans les caisses de l’Etat, mis le Trésor en déficit pour le paiement des dépenses permanentes. Et d’autre part, la situation extérieure, l’approche rapide, inévitable, de la guerre avec l’Angleterre, dont il faudra bientôt parler, laissait prévoir l’urgente nécessité de ressources extraordinaires, dont le chiffre, encore inconnu, serait certainement formidable. Pour faire face à ces charges, qu’avait-on devant soi ? Un crédit public épuisé, une opinion soulevée contre la seule pensée de toute taxe nouvelle, un Roi jaloux de popularité et refusant, par conséquent, de pressurer ses sujets à outrance. En écartant l’augmentation d’impôts, un seul moyen restait, dont jusqu’alors en France on n’avait guère usé que dans des cas exceptionnels : l’emprunt, sous ses formes diverses, loterie, constitution de rentes fixes ou viagères, émission de valeurs garanties par l’Etat. L’emprunt et non l’impôt, ce fut la formule de Necker, et il n’est guère de point sur lequel, en son temps, il ait été plus vivement censuré.

Emprunter, disait-on dans les milieux physiocratiques, c’est sans doute éloigner la ruine, mais c’est en même temps l’aggraver, en accroissant la dette. Car tout emprunt, en dernière analyse, ne peut manquer d’aboutir à l’impôt, ne fût-ce que pour payer l’intérêt des sommes empruntées. « C’est reculer pour mieux sauter, » écrivait un gazetier. On prétendait y voir aussi quelque chose d’assez peu honnête : « On pouvait dire, disserte gravement Soulavie, qu’emprunter, si l’on pouvait imposer, c’était charger le Trésor de la somme à verser pour les intérêts aux prêteurs, et que, si l’on ne pouvait pas imposer, c’était tromper la confiance des prêteurs en les abusant sur le gage. » Les moralistes dénonçaient l’encouragement donné à la spéculation et à l’agiotage, la « destruction de l’esprit de famille » par la facilité de se faire des rentes viagères. Enfin d’autres disaient que chercher de l’argent par de semblables procédés était user d’un simple expédient dilatoire et d’un vulgaire trompe-l’œil ; ils comparaient Necker, emplissant les caisses du Trésor en affirmant : Sans impôts, messieurs, sans impôts ! à l’arracheur de dents qui couvre les cris du patient en répétant sans cesse : Sans douleur, messieurs, sans douleur !

L’un des hommes les plus perspicaces, l’un des esprits les plus avisés de ce temps, le célèbre abbé Galiani, montrait