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déjà, proche et béant, le fossé où le novateur culbuterait avec son système : « Je plains[1] M. Necker sans le maudire. Obligé d’être un joueur de gobelets, il faut qu’il fasse croire qu’il n’a pas mis d’impôts. Mais point d’argent sans impôts... L’illusion disparait, le jeu des gobelets est découvert, et un homme qui paraissait un ange ou un alchimiste redevient homme, sans pierre philosophale, sans admirateurs, et, qui pis est, sans rencontrer des hommes justes et raisonnables qui ne lui fassent pas un crime de n’avoir pas fait l’impossible. »

À ces critiques multipliées, Necker objecte tout d’abord qu’il n’a pas le choix des moyens, que créer des taxes nouvelles sans opérer au préalable une complète réforme fiscale, sans remanier l’assiette même de l’impôt, sans refaire pièce à pièce le mécanisme suranné du mode de perception, serait, selon son expression, travailler « à remplir un tonneau percé par le fond. » Or, l’heure pressait ; il fallait à tout prix trouver assez d’argent pour éteindre les dettes criardes. Il alléguait aussi, — et l’événement lui a donné raison, — que la nation française, si obérée qu’elle fût par la gestion d’administrateurs maladroits, était, au fond, riche et pleine de ressources ; qu’avec de l’ordre, de l’économie, une probité sévère, on arriverait sans doute à rembourser les sommes prêtées et que l’avenir se chargerait d’acquitter les dettes du présent. Enfin, il faisait observer, — et aucune considération ne pouvait faire plus d’impression sur l’esprit de Louis XVI, — qu’en multipliant les rentiers, on augmentait le nombre des Français intéressés au maintien de l’autorité, le nombre des sujets dévoués au prince qui tenait en ses mains une part de leur fortune, et il citait, à l’appui de cette opinion, l’exemple concluant du gouvernement britannique, « Comment, ajoutait-il, un Roi qui, sans augmenter d’un écu le poids lourd des contributions, comblerait le gouffre creusé par ses prédécesseurs, ne serait-il pas assuré de voir son nom vénéré et béni jusqu’au fond des lointaines campagnes[2] ? »


S’il est permis de juger un système sur ses résultats immédiats, on ne peut nier, d’ailleurs, que celui de Necker n’ait porté en lui-même sa justification. Dès son premier emprunt, — quarante millions de rentes viagères, — on vit, aux guichets

  1. Lettre du 22 juillet 1780. — Édition Asse.
  2. Journal de Véri.