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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/540

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où l’atmosphère devient sonore, et les propos en l’air, alors, sont volontairement destinés à l’écho. Le 9 novembre 1879, Czacki, allant voir Hohenlohe, s’étendait sur les bonnes intentions du Pape, sur le péril auquel le Culturkampf exposait l’État, sur la gratitude que témoignerait Léon XIII si la paix survenait. « Ni vous ni moi, d’ailleurs, ajoutait-il, n’avons mandat pour négocier ; » et le séduisant prélat, comme s’il eût craint d’en avoir trop dit, ajoutait que c’étaient là paroles académiques. Hohenlohe pourtant les commentait, demandait que le Vatican permît aux évêques de notifier au pouvoir civil les noms des curés. « Impossible, répondait Czacki, la Curie paraîtrait baisser pavillon ; les concessions doivent être réciproques et simultanées. » Hohenlohe discutait, faisait des objections... « Un échange, disait coquettement Czacki, un échange de bouquets ; et tout rentrera dans l’ordre. Lentement, mais sûrement, ajoutait-il : il ne faut pas trop se presser, pas trop hésiter non plus. »

Huit jours s’écoulaient, et Hohenlohe rendait à Czacki sa visite. Il signifiait d’abord au nonce, très nettement, qu’on ne devait pas songer au rétablissement des articles constitutionnels qui garantissaient la liberté des Églises ; « on ne veut pas chez nous, insista-t-il, d’Église libre dans l’État libre. » Mais Czacki, très souple, insinuait, sans s’obstiner, que les concessions pourraient prendre une autre forme. Czacki d’ailleurs ne précisait rien : il n’avait mission ni de traiter, ni même de proposer. Et Czacki s’abandonnait aux longs propos caressans, qui semblaient solliciter l’avenir : il parlait du Pape, de sa sympathie pour Bismarck. « Saisissons l’occasion ; Bismarck et Léon XIII sont seuls capables de se réconcilier. » Il laissait entendre que le Pape avait la résolution et la force nécessaires pour ramener les catholiques de Prusse à une attitude loyale à l’endroit du gouvernement : à charge de concessions, naturellement. D’un geste velouté, il semblait étaler, sous les yeux de Hohenlohe, l’échantillon de certaines bonnes grâces que le Vatican était tout prêt à offrir si la Prusse les voulait acheter. Mais l’ambassadeur n’était pas conquis ; il demeurait plutôt inquiet. Au delà de ce que disait Czacki, il apercevait une conclusion logique, qui était une menace : l’État serait en danger, par le fait du Centre, si la Prusse et le Vatican ne s’entendaient pas.

Lorsqu’il avait affaire à l’Église, le prince de Hohenlohe avait un malheureux caractère ; il était choqué si elle résistait.