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et tremblant si elle souriait ; il redoutait encore plus peut-être, ses avances que ses refus. Son frère le cardinal, qui à Rome se tenait aux aguets, avouait à Bismarck lui-même, en ce même mois de novembre, dans un hâtif billet, une demi-inquiétude. Il entendait dire, au fond de son palais, que les négociations avec Jacobini marchaient fort bien, et que déjà même on parlait d’un paragraphe qui rouvrirait la Prusse aux ordres religieux, et tout de suite, sautant sur sa plume, le cardinal écrivait au chancelier : « On se flatte qu’à l’abri d’un tel article les Jésuites rentreront. Heureuse naïveté ! Il est toujours bon de préserver de cette plaie notre patrie. » Les Hohenlohe, décidément, n’étaient pas encore bien sûrs de Bismarck, et si l’idée fût venue au chancelier d’accorder à la célèbre Compagnie quelque réparation, c’est sur les lèvres cardinalices de Gustave de Hohenlohe qu’eût retenti le cri d’alarme.


III

« Les Jésuites vont rentrer : » c’est le cri qui toujours retentit en Allemagne, dès que se dessine, dans l’administration, un mouvement en faveur de l’idée religieuse, ou dès qu’on voit, dans l’arène électorale, les partis religieux gagner du terrain. Puttkamer, successeur de Falk au ministère de l’Instruction publique, passait pour un homme de réaction : cela suffisait pour qu’on pût s’imaginer que le jésuitisme était aux portes. Président général de la Silésie, on l’avait vu, l’année d’avant, résister à certaines exigences des vieux-catholiques ; il avait appliqué les lois de Mai sans grande ferveur, avec une séante exactitude. En lui, tout était distingué : la naissance, la parole, la poignée de main et jusqu’à la coupe de barbe, trop fignolée d’ailleurs pour le goût de Bismarck. Sur ce fauteuil ministériel où l’on avait vu, six ans durant, un bourgeois médiocrement élégant, bûcheur pointilleux et concentré, parvenu par sa science aux plus hautes fonctions de l’Etat, était assis, désormais, le représentant d’une autre classe sociale, où l’on sert l’Etat, de père en fils, par devoir de naissance, où le service public, avant d’être le couronnement des études, est la suite d’une tradition. Puttkamer était un protestant correct et pratiquant. Cela rentrait d’ailleurs dans cette définition de l’homme comme il faut, dont il n’aurait jamais voulu s’écarter ;