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mais comme ministre, aussi, et parce que ministre, parce que fonctionnaire d’un Etat chrétien, il tenait à ce qu’on sût sa réelle piété, et ce que tout de suite on remarqua, c’est que, dans les banquets officiels, il donnait, en pleine table, l’exemple de prier Dieu. Et puis on apprit, de ses propres lèvres, par des discours publics, qu’il ne partageait pas toutes les idées pédagogiques de Falk et que le caractère confessionnel de l’école primaire serait bientôt accentué. Un certain nombre d’instituteurs, que Falk avait habitués à se croire les lumières du monde, s’inquiétèrent aussitôt, pour eux-mêmes et pour la civilisation ; ils parlèrent d’obscurantisme. L’obscurantisme, pour eux, c’étaient les pasteurs évangéliques qui croyaient au Christ, c’étaient les hommes politiques qui, pour la formation de l’âme d’un peuple, attachaient plus d’importance à la culture des vertus profondes, vertus morales, vertus civiques, qu’à l’aride apport d’une science primaire, superficielle et verbale. Puttkamer apparaissait, dans certains cercles scolaires, comme le type du ministre rétrograde ; et le 22 septembre 1879, une voix s’éleva, claire et haute, pour lui crier sans retard : Halte-là !

C’était la voix de Falk. L’opinion publique en fut ébahie. Ce ministre d’hier semblait s’ériger en leader d’une opposition, et vouloir incarner, en face de son successeur, les mécontentemens et les hostilités des fonctionnaires sur lesquels hier il régnait, sur lesquels aujourd’hui Puttkamer régnait. Toujours respectueux du chancelier, Falk ne disait pas encore : Nous allons à Canossa ; il avait l’espoir que Bismarck pourrait éviter cette route. Il ne visait pas à diriger contre la politique nouvelle une attaque d’ensemble ; il affectait de parler en administrateur qui trouvait que son œuvre administrative était malencontreusement disloquée. C’est au sujet de son propre département ministériel qu’il poussait un cri d’anxiété. Il observait qu’au ministère de l’Instruction, l’action personnelle des ministres ne se heurtait pas à l’entrave d’une loi, et que l’esprit de l’enseignement dépendait de leurs circulaires, et d’elles seules. Cette souveraineté ministérielle, dont naguère il avait usé, était une arme à deux tranchans. Falk craignait que Puttkamer ne s’en servît pour faire trop de concessions à certains courans. Il voulait encore avoir confiance, tant étaient nombreux les messages de sympathies qu’il avait reçus au moment de sa chute, et tant lui paraissaient enracinées certaines