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fortifier ainsi l’opposition même que lui faisait le Centre. Quelques bravos s’essayaient, à droite, sur certains bancs conservateurs ; le Centre ne bougeait pas ; les nationaux-libéraux cachaient leur agitation sous un masque de froideur ; les progressistes ricanaient. Bismarck ayant parlé s’en alla de la salle, sans attendre ce que pourrait répondre Windthorst au nom du Centre, ou Bennigsen au nom des nationaux-libéraux : que lui importaient, à cette heure, leurs propos ? Il savait, lui, où il voulait en venir ; le Reichstag ne le savait pas encore.

D’aucuns, parmi les nationaux-libéraux, voyaient dans ce discours une grande salve, pour masquer la capitulation devant Rome. Bennigsen, plus confiant, disait joyeusement : Le bloc noir, le bloc conservateur clérical est en miettes. Il y avait de la naïveté dans cette joie : car Bismarck, qui avait besoin des nationaux-libéraux pour faire passer au Landtag le prochain projet de loi, les avait ramenés dans son jeu ; il les avait flattés, d’abord, par l’annonce du refroidissement entre Rome et Berlin, et puis il les avait bien grondés : c’étaient deux bons procédés pour les conquérir. Accusés le 8 mai de se comporter en opposans, de ne pas vouloir un gouvernement fort, et de faire ainsi les affaires du Centre, les nationaux-libéraux allaient essayer de rentrer en grâce : Bismarck les guettait là ; habile à les saisir, à les déconcerter, à les dompter, il saurait leur dire à brûle-pourpoint : « Soyez hommes de gouvernement, et prouvez-le, tout de suite, en faisant avec moi et derrière moi une première brèche dans les lois de Mai, dans vos lois. » Ce serait là jouer un excellent tour à ses anciens alliés du Culturkampf ; et ce serait en même temps narguer Rome, narguer le Centre, en disant à Rome et au Centre : La paix, je la fais sans vous.

Il lui restait à prendre personnellement congé de Rome : c’est ce qu’il fit le 14 mai. Il expédia à Reuss, ce jour-là, une philippique nouvelle contre le Centre. « Le Saint-Siège, expliquait-il, condamne le socialisme ; le centre marche avec les socialistes. Le Saint-Siège manque-t-il de volonté, ou de puissance, pour arrêter le Centre dans cette voie ? » Bismarck revenait ainsi, après trois essais de négociations avec Léon XIII, au dilemme dont autrefois sa presse se faisait une arme contre Pie IX : ou vous pouvez influer sur le Centre et vous ne le faites pas, alors vous m’êtes hostile ; ou vous ne le pouvez pas, alors