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elle est bonne, hospitalière, intelligente, spirituelle même. Mais son indifférence à tous les événemens est imperturbable. S’apercevra-t-elle seulement que vous n’êtes pas descendu chez elle ?…

— Et Françoise ?…

— Vous verrez votre nièce autant qu’il vous plaira, puisque nos parcs se touchent : il n’y a pas deux cents mètres de porte à porte.

Jusqu’ici, j’avais résisté à M. de Lespinat. En secret, pourtant, je tombais d’accord avec lui sur ce point : que Rein-du-Bois est bien le lieu du monde le moins fait pour abriter un homme exerçant le métier d’écrire. Le bruit, l’odieux, le cruel, le mortel bruit y a établi son empire. Les maîtres de céans donnent le branle, jetant les portes, traînant les sièges, proférant les dialogues les plus inoffensifs sur un ton de dispute. Forts d’un tel exemple, les domestiques, quand ils font le ménage, évoquent les plus rudes souvenirs de la Jacquerie : le château envahi par une horde qui en consomme, à grand fracas, la pillerie. Le ménage fait, ils se détendent les nerfs en chantant à plein gosier, en jonglant avec les ustensiles, en dansant des bourrées, semble-t-il, dans les corridors. De plus, le valet de pied est violoniste et le chauffeur joue du cor anglais. Quant aux invités… N’est-il pas naturel que les invités prennent les coutumes de la maison ? N’avez-vous pas remarqué que le bruit, comme le silence, est contagieux ?… Eh bien ! les plus calmes invités de votre belle-sœur Lucie deviennent bruyans, dès qu’ils ont franchi le seuil. Le voisin d’à côté martèle le plancher avec des bottes de pierre ; la jolie dame du dessous ronfle comme un gendarme ; le vieux monsieur d’en haut, vers trois heures après minuit, se lève à pas menus et se livre à d’inexplicables besognes ; on dirait qu’il compte des noix et les jette une à une dans un sac… Je ne dis rien des enfans, de qui le bruit signifie joie et trouve aisément grâce devant ma méchante humeur. Mais, comme disait un mien parent, « le trop est trop… » et que d’enfans à Rein-du-Bois, en ce moment même ! On y abrite cinq personnages de moins de seize ans. D’abord, votre fils Pierre et sa cousine Simone Laterrade (mes deux pupilles) âgés l’un et l’autre de huit ans ; puis Noël Laterrade, frère de Simone, lequel a douze ans, et dont on me prie de m’occuper un peu, « parce qu’on ne peut rien en tirer. »