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Ainsi le joli cocon d’or, au moment où s’en évade un papillon blanc velouté, n’est plus qu’une vieille chose, une chose morte.

Eh bien ! ma Françoise, qui laisse passer sans culture une de ces trois saisons enfantines a perdu, pour l’œuvre de l’éducation, l’opportunité qu’il ne retrouvera plus, plus jamais… Il y a quelque chose d’irréparable dans la déformation intellectuelle infligée à un bambin français par les pauvres filles de Galway et de Stuttgard qu’on leur alloue comme Mentors : ces enfans sauront peut-être prononcer bottle ou Flasche, mais les trois quarts d’entre eux ne connaîtront jamais parfaitement leur propre langue. De même, il y a quelque chose d’irréparable dans le désarroi causé dans un esprit de huit, neuf, dix ans, par l’enseignement que j’appelle « en l’air, » c’est-à-dire sans liaison continue entre les diverses notions et avec l’élève lui-même. Preuve : pas un adulte sur dix, ayant achevé ses études secondaires, n’est capable de vous dire approximativement la largeur d’une rue de Paris ; pas un sur dix ne connaît les dimensions de la France ; pas un sur cent n’est capable de répondre (autrement que par du vague ou des énormités) à la question : « Que s’est-il passe de notable sur la surface du globe dans la seconde moitié du XIIIe siècle ? » Enfin la période où se forme le tempérament physiologique offre une suprême occasion d’agir sur l’enfant : même s’il fut négligé jusque-là ou élevé à la diable (comme votre neveu Noël Laterrade), on peut encore essayer de le reprendre, à la faveur du grand trouble où le met alors la nature… Mais cette occasion est la dernière. De douze à seize, l’âme enfantine se cristallise dans un système quasi définitif ; s’il se modifie dans la suite, ce ne sera plus sous l’influence de l’éducation, mais sous l’influence de l’amour ; et l’amour ne veut collaborer avec aucun magister.

Chère Françoise, je me réjouis singulièrement, en ce moment même, d’avoir pris la charge de diriger, lorsqu’ils n’avaient guère plus de cinq ans, l’éducation de votre fils Pierre et de sa cousine Simone… En effet, plus je m’efforce de remettre en ordre l’éducation mal commencée de Noël Laterrade, frère de Simone, lequel a douze ans, plus je constate cet irréparable qui s’accomplit avant la douzième année. En revanche, la rééducation du jeune Noël me fournira l’occasion de compléter la doctrine de mes précédentes lettres, qui visaient l’éducation jusqu’à