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pour le lunch. Il repart le lundi suivant. Le reste du temps, la châtelaine supporte sans ennui apparent l’absence du châtelain et gouverne en Parisienne adroite sa maisonnée toujours nombreuse. Elle ne comprend pas ta vie aux champs avec moins de quinze personnes autour de la table, et pour que les quinze personnes y soient, elle emploierait au besoin le système évangélique du compelle intrare. Il en résulte qu’on rencontre à Chambon des hôtes un peu falots : cas de tous les châteaux où l’on veut « recevoir, » coûte que coûte. Par fortune, la jeunesse, une jeunesse gaie, remuante, assez variée, abonde au logis.

Outre les deux filles de la maison. Blanche et Madeleine Demonville, et leur frère Guy, on y voit actuellement une de leurs amies parisiennes, Mlle Cécile Bernier, une de leurs amies anglaises, Mlle May Footner, plus le frère de celle-ci, Sam Footner. Tout ce jeune essaim compte de treize à quinze printemps par tête blonde, brune ou rousse, ce dernier cas étant exclusivement celui de Sam Footner.

Vous imaginez ce que cette escouade, accrue de Noël Laterrade, de Sylvie Bertrand-Tasqué et de Georges de Lespinat, peut inspirer de réflexions grisâtres aux spectateurs de leurs ébats, quand ils cinglent eux-mêmes vers le dixième lustre. Toute cette jeunesse groupée nous signifie par son attitude : « Allons ! dépêchez-vous de nous laisser partir, voici bien notre tour… » C’est la seconde tablée des wagons-restaurans, celle qui guette, l’œil hostile et les dents longues, le dessert de la première équipe. C’est le voisin de guichet qui vous pousse, tandis que vous recommandez une lettre… Spectacle mélancolique et divertissant ! Certains, à 1 époque de la vie où me voilà, en souffrent et se lamentent. Moi, vous savez ma doctrine : je n’envie pas la jeunesse, et je trouve d’ailleurs la vie assez longue, juste proportionnée à nos forces et à nos désirs, si nous savons modérer ceux-ci et économiser celles-là


Toute ladite jeunesse, sauf Georges de Lespinat qui a seize ans sonnés et May Footner qui, dans sa quinzième année, en paraît dix-huit, toute cette jeunesse est en plein âge ingrat…

Age ingrat ! la jolie, touchante, inquiétante alliance de mots, une de ces alliances nuancées comme on n’en rencontre qu’en notre langue française ! Age ingrat ! cela évoque un corps grêle qui s’étire, une pâleur délicate un peu tachée de son,