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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/579

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qu’inonde soudain, sans motif apparent, un flux de rougeur ; une bouche qui rit volontiers, mais où demeure je ne sais quoi de vaguement douloureux dès qu’elle cesse de rire ; des yeux tantôt trop hardis, tantôt fuyant le regard, où la curiosité et la timidité se combattent sans cesse ; des yeux où il y a de la frénésie et de la lassitude, de l’ardeur à vivre et du sommeil en retard, de la lièvre et de l’abattement, de l’impertinence et de la honte ; tout cela encadré de sourcils mal dessinés, de paupières battantes et bleutées, parées de ces longs cils courbés de l’enfance qui commencent à tomber dès qu’approche la vingtième année. Age ingrat ! les membres trop minces et trop longs, qui embarrassent l’enfant et pour lesquels, sitôt qu’on l’observe, il n’invente que des attitudes incommodes, anormales, comiques… Age ingrat ; la voix des garçons qui mue, se dérobe dès qu’ils veulent parler ; les mains écarlates que les filles ne savent où cacher ; les maigreurs qu’elles dissimulent et qui donnent à leur pudeur quelque chose de farouche ; les cheveux trop abondans, qu’elles ne peuvent arriver à coiffer et qui souvent courbent leur cou trop faible, leur infligeant de dures migraines. Age des questions informulées, des mystérieuses angoisses dont on rira un jour ; des grandes haines et des violentes sympathies qui passent comme une giboulée ; âge où souvent on ne souhaite pas encore la vie, où c’est plutôt la vie qui vous tire, comme malgré vous… Age douloureux et voluptueux, où, comme l’a dit Rousseau, l’enfant a des forces au-dessus de ses désirs ; âge où la nature domine tellement l’être humain qu’il n’est, ballotté par elle, qu’une pauvre épave, Age où le tempérament et le caractère se figent lentement et se cristallisent… Age qui a la trouble attirance des matinées de mars, âge de coups de temps et de délicat soleil, que tu ès émouvant à contempler pour l’amateur d’âmes, — et quelle ingratitude de t’avoir nommé ingrat !

… Revenons à Mme Demonville. Vous imaginez aisément, Françoise, notre premier entretien, les horripilantes phrases sur mes livres, l’assurance exprimée que je n’avais pas de plus intégrale admiratrice que la châtelaine de Chambon. Admiratrice ! admirer ! paroles dont on use si indiscrètement qu’elles ne contiennent plus que des traces de leur sons primitif. J’ai traduit intérieurement les complimens de Mme Demonville de la façon suivante : « Monsieur, vos livres m’ont parfois fait